mercredi 4 juillet 2007

Sinistra 2

UNE INTERVIEW DE ROSSANA ROSSANDA

J’avais promis de suivre (voir l'article Sinistra) le débat sur l’unité de la gauche en Italie. Voici une interview de haute volée de Rossana Rossanda, parue dans Liberazione du 3 juillet 2007. Rossanda est une grande intellectuelle, une des personnalités du mouvement communiste et du marxisme les plus respectée en Italie. Responsable de la culture au Pci au début des années 60, elle est ensuite expulsée du parti, Elle est fondatrice du Manifesto.

Dans ce texte une des plus influentes membres de la culture de la gauche italienne, semble sceptique devant le débat qui se développe en ce moment sur un nouveau « sujet unitaire» de la gauche.

Rossanda. Selon toi pourquoi en ce moment tous parlent de "sujet unique" de la gauche et qu’on n'emploie pas la vieille - mais peut-être plus claire - formule de parti. De quoi s'agit-il?
Je ne saurais te répondre. Je vais te donner mon intuition. Je suppose qu’au "Sujet" serait laissée la principale articulation, de sorte que chaque organisation particulière puisse maintenir ses vertus et ses défauts. Ainsi que son appareils et - pourquoi pas ? - ses financements. De toute façon il me semble que même le choix de mots comme celui-ci reflète la méfiance diffuse pour la forme parti. Forme beaucoup diabolisée mais peu analysée. En somme, tous considèrent comme acquis qu'un parti ne peut être, par nature ou nécessité de fonctionnement, qu’enrégimentement vertical et antidémocratique. Mais tout cela fournit un alibi pour éluder une réponse forte.

Et que serait "une réponse forte" ?
Les polémiques ne me plaisent pas et donc je me garde bien d’en faire. Cependant, il y a peu de temps, quelqu'un, en soutenant la nécessité de vite procéder à une agrégation de la gauche existante, a soutenu qu'au fond les diverses composantes de la gauche italienne ont beaucoup plus de choses en commun que n’en avait par exemple Die Linke en Allemagne. Bien, il suffit d'aller lire les documents du congrès allemand. Et ainsi de découvrir que ce parti esquisse des analyses sérieuses, efficaces du développement capitaliste. Et qu'il définit pour lui-même un rôle d'opposition à la domination du capital. Un mot ancien mais qui me semble encore le plus approprié. Voilà une idée forte. De celle qui manque en Italie.

Tu ne pense pas être une peu sévère ? Au fond l'Italie n’a-t-elle pas été un peu le berceau d'une nouvelle pensée critique ? Il suffit de penser à Gênes, au Social Forum. Parce que n'est-ce pas de l’Italie, de cette gauche qu’est partie l'idée d'un rapport fort entre politique et mouvements sociaux?
Réfléchissons alors à ces mouvements. Je crois qu'ils sont importants. Ils l’ont été et ils le resteront. Mais ce n'est pas avec la spontanéité que nous affronterons les questions décisives...

Pour comprendre : Le projet auquel a donné vie Rifondazione, celui de la «Gauche européenne», et le même "Sujet pluriel" qui devrait unir la gauche et qui prévoit des formes stables de relations avec le "social", à toi cela te semblent-il des expériences inutiles ? N'est pas là le chemin pour rénover la politique ?
Soyons clairs : je ne suis pas indifférente à celui qui parle de la nécessité de construire une "masse critique"(1) pour peser sur les institutions, et qu'elle doit avoir même une dimension telle qu'elle ne puisse pas être écarté dans les équilibres de gouvernement. Jusqu'ici nous sommes d’accord. Dans tout cela, cependant, il reste un point à définir: que représente ce sujet, quel "bloc historique" de 2007 exprime-t-il, quel but poursuit-il ? Ou peut-être, y a-t-il quelqu'un qui soutient qu'une société complexe amène à l'existence de plusieurs "petits blocs" historiques ?
Mais soyons sérieux, par pitié! La définition de sujet "pluriel" qu'on entend en ce moment, fait allusion à une sorte d'addition ou de fédération, destinée à rassembler le plus de sensibilités possibles mais qui, je le répète, servirait seulement à éluder les thèmes les plus épineux.

Qui seraient ceux relatifs à la définition d’une stratégie pour sortir de la domination du capital, c’est ça ?
Pouvons-nous parler clairement ?

C’est l'occasion justement.
Alors nous devons partir du premier de ces "thèmes épineux". La question est : sera-il un sujet anti-capitaliste ou non ? Et que signifie être "anti-capitaliste" en pleine mondialisation ?

Même ici Rossanda, je ne crois pas qu'on parte de zéro. Tu ne peux pas nier que cette gauche, même et par-dessus tout la gauche sociale italienne, a oeuvré à définir les grandes lignes d'une politique antilibérale ?
Aujourd'hui se dire "antilibéral" ne se présente même pas comme une tactique, parce que pour ce faire il devrait être inséré dans un horizon et un parcours qui ne sont pas même esquissés. C’est clair, ils ne sont pas esquissés et encore moins en mouvements. Sûrement les antilibéraux sont plus sympathiques parce que, au moins, ils ne reflètent pas les intérêts, pauvres et inévitables, d'un appareil partitique. Mais je le te répète : tous ces antagonismes, chacun radical et séparé, ne mettent pas en discussion, même de manière lointaine, un système, puissant et capable d'une répression liée au consensus, qu'il y a trente ans aucun de nous n’imaginait.

Alors le Capitalisme est imbattable ?
C’est un Capitalisme auquel il faudrait s’opposer. Mais sommes toute, que savons-nous de ce qu'est aujourd'hui la Chine ou l’Inde ? Ils sont seulement les exemples flagrants du consentement au capitalisme. Capitalisme qui laissé à lui-même, portera à de nouvelles et dramatiques guerres commerciales. Et je ne suis pas la seule à le dire, il suffirait de lire Immanuel Wallerstein. Une terrible régression. Mais qui en discute, ici, en Italie ? Qui en discute à gauche ? Personne.

Mais si le cadre est ce que tu définis, pourquoi en Italie la discussion sur le rôle de la gauche a-t-elle repris vigueur ? Seulement parce qu'explosent les DS ?
Je présume que oui. Je te dirai plus : de notre point de vue, l'ancienne idée que chaque grand parti représente un bassin social et électoral stabilisé est invalidée. Bassin qui, s’il est laissé sans référence, attend seulement d'être rempli par d'autres qui en reflètent la culture et les besoins. Je ne suis pas certaine que cette thèse, que cela soit clair – qui a alimenté même les nouvelles gauches dans les soixante-dix, soit corrigée, ni même qu’elle soit juste.

La crise d'un grand parti n'est jamais seulement la crise de son groupe dirigeant, elle révèle même beaucoup plus : une incertitude diffuse de ce qu’on est, alimentée par la réticence à se regarder en face. La crise d'un parti change les perspectives et réoriente les besoins. En somme, on perd beaucoup de gens en route. Sans compter que le "grand parti" est rassurant en soi, et il n'est pas dit que les autres partis, qui se présentent comme plus "fidèles aux origines", réussissent à attirer ses ex adhérents. C’est là une erreur que nous avons fait tous, et qu’a longtemps commise - pourquoi ne pas le dire ? - Rifondazione.

Tu peins un cadre sombre. Pourtant – à bien y regarder - à cette gauche italienne, qui évite avec soin de se mesurer avec les problèmes réels dis-tu, à cette gauche il a suffi de retrouver un minimum d'unité d'action parlementaire pour gagner une augmentation des plus petites retraites.
Quelques dizaines d'euro bruts par mois pour des personnes qui en gagnent cinq cents. Les bras m’en tombent. Mais même dans ce cas : en Italie il y a une gauche qui n'a pas encore affronté de face le point dur de l'Europe, cette institution qui est un élément important de la domination capitaliste globale. Domination qui de fait rend très difficile, presque impossible n'importe quelle hypothèse redistributive. Pourtant, même ici, la gauche italienne n'en parle pas. Elle s'occupe d'autre chose. Mais je ne voudrais pas être mal compris : si les différents sigles de la gauche trouvent quelque accord d’unité d'action sur le plan institutionnel, à court terme, je dis que c’est mieux que rien . Mais je ne pense pas qu'ils réussissent à aller au-delà. J'insiste : c’est mieux que rien. Et si ensuite ils arrivent même à théoriser tout cela, bah... Mais vraiment nous n’y sommes pas encore.
(...)

(1) référence au déclarations de Fausto Bertinotti à ce propos. (NDT)

traduction : Caius Gracchus

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