mardi 28 octobre 2008

Italie : la force des mouvements et la politique de la peur

par L. A. pour Le Grand Soir


« Maroni (l’actuel Ministre de l’Intérieur italien, Ndr) devrait faire ce que je fis lorsque j’étais moi-même Ministre de l’Intérieur (pendant les années 70, Ndr). Tout d’abord laisser tomber les lycéens car, imaginez ce qui se passerait si un jeune mineur était tué ou grièvement blessé. Laisser faire les étudiants. Retirer les forces de l’ordre des rues et des Universités, infiltrer le mouvement par des agents provocateurs prêts à tout, et laisser, pendant une dizaine de jours que les manifestants dévastent les magasins, incendient des voitures et mettent les villes à feu et à sang. Après, forts du consensus populaire, le son des sirènes des ambulances devra couvrir celui des voitures de police et des Carabiniers. Dans le sens où les forces de l’ordre ne devraient pas avoir de pitié et les envoyer tous à l’hôpital. Pas les arrêter, parce qu’après les magistrats les remettraient tous en liberté (1) mais les frapper et frapper aussi les professeurs qui fomentent ça. Je ne dis pas les anciens, mais les toutes jeunes enseignantes oui... Voilà la recette démocratique : éteindre la flamme avant que ne se propage l’incendie ».
Voici les paroles livrées à la presse le 23 octobre dernier par Francesco Cossiga, ancien Président de la République, et grand marionnettiste de la structure Gladio (2), aujourd’hui sénateur à vie par la grâce des institutions républicaines. Cossiga explique dans son interview aux quotidiens italiens, qu’il craint une reprise des désordres et du terrorisme et s’empresse de fournir au Ministre Roberto Maroni (Ligue du Nord) les précieux conseils d’un vieux routard de la répression armée et du putschisme.

C’est que la situation est sérieuse. Après quelques mois de silence, depuis le désastre des élections législatives d’avril et la déferlante raciste et fascisante qui a envahi la péninsule, un puissant mouvement de lutte s’est levé depuis le début du mois d’octobre. D’imposantes manifestations antiracistes, protestations tous azimuts de la part de la gauche contre les mesures gouvernementales, retour en force des lutte syndicales, et maintenant un énorme et puissant mouvement de contestation et d’occupation dans les écoles, les lycées, les universités qui s’étend à vue d’oeil dans toute la péninsule. Ce qui a mis le feu aux poudres, c’est la réforme de l’instruction et de l’Université prévue par la Ministre Gelmini. Il s’agit d’un véritable massacre de l’éducation et de la recherche, de la suppression d’environ 140.000 postes, de la réintroduction de mesures répressives visant uniquement la discipline tout en diminuant les moyens et en augmentant les effectifs par classe. Quant à la recherche il s’agit de mener à terme la « privatisation » par le renforcement des critères de rentabilité et de conformité au marché. Tout ceci dans une école et une Université qui, au fil des années ont subi les ravages successifs des réformes de Luigi Berlinguer (ancien ministre de gauche) puis des tristes réformes de Letizia Moratti, ancienne Ministre dans les gouvernements Berlusconi 1 et 2, ayant pour conséquence l’augmentation de la sélection sociale, la diminution du niveau d’enseignement pour les couches sociales les moins favorisées et l’augmentation continue des droits d’inscription.

A première vue, et depuis la France on pourrait penser qu’il s’agisse d’une plaisanterie de mauvais gout, et c’est vrai que Cossiga nous a habitués depuis plusieurs années à une telle montagne de déclarations fracassantes. Un terme spécifique à été inventé tout spécialement pour lui, « externations » : les journalistes ne pouvant ignorer les déclarations d’un ancien président inventèrent ce terme pour qualifier les sorties tonitruantes de M Cossiga par la suivante expression « M Cossiga s’est de nouveau externé » à savoir qu’il a encore produit une de ces déclarations. Mais au milieu des « externations de M Cossiga » il arrive de temps en temps que des éléments d’importance capitale soient révélés. C’est ainsi qu’à la suite de ces récentes déclarations une enquête a été ouverte sur l’étrange affaire de l’accident d’avion d’Ustica en 1980. (3)

Mais si nous revenons à l’Italie d’aujourd’hui et aux mouvements actuels, on peut se demander comment de telles déclarations peuvent être possibles. M Cossiga essaye de toute évidence de semer le trouble et d’employer l’intimidation, chose à laquelle en Italie nous sommes très habitués. A titre d’exemple, en 1973 l’ampleur des luttes était imposante et le « bruit » courut que si les syndicats et les manifestants ne se calmaient pas nous risquions de nous retrouver comme au Chili. Ce n’est pas une boutade, ce sont les propos exacts tenus par Enrico Berlinguer, alors secrétaire de PCI dans un célèbre discours prononcé cette année là. L’Italie n’est pas devenue le Chili mais des fortes inquiétudes existaient alors. Selon certains, Berlinguer aurait prononcé ce discours pour calmer le jeu dans une optique de modération face aux revendications sociales grandissantes. D’autres font remarquer que la stratégie de la tension, les attentats à la bombe commis ces années là, les tentatives de coup d’état à répétition effectuées en Italie, la présence de bases militaires américaines (outre celles de l’Otan) et l’implication étasunienne dans le putch chilien avaient sérieusement de quoi inquiéter.

Alors Mr Cossiga aurait-il lu le dernier Naomi Klein ? (4) Nul besoin, cet artisan de la répression policière des années 70 en sait long sur le sujet et pourrait conseiller quiconque en la matière. C’est un précurseur. Ministre de l’intérieur durant l’époque trouble des années de plomb, de l’assassinat d’Aldo Moro et de la répression policière massive, il s’est particulièrement distingué pendant le mouvement de 1977. Il y eut, alors en Italie un petit 68 avec des grèves et des manifestations ouvrières très importantes. Le 12 mai 1977 une jeune étudiante de 19 ans, Giorgiana Masi fut tuée d’un coup de revolver tiré à hauteur d’homme par un policier en civil et une autre étudiante fut blessée (ah les très jeunes profs et étudiantes chères à Cossiga). Sous couvert de lutte contre l’extrémisme, Cossiga fit approuver des lois d’exception visant « la lutte antiterroriste ». J’étais très jeune à l’époque mais je me souviens des ferments qui traversaient même mon collège et le lycée homonyme. Les rafles de militants de gauche arrêtés par milliers, la chasse au rouge (vrai ou supposé) qui s’abattait dans les villes et les violentes charges de police durant les manifestations féministes auxquelles je participais. La peur et la méfiance. C’est précisément ce que voudrait répandre l’ancien président de la République.

Quelques années plus tard en 1990, éclata l’affaire Gladio. Après les révélations à la presse d’un ancien agent du MI6 britannique sur le réseau putschiste stay behind (5) concernant également l’Italie, Giulio Andreotti, alors président du Conseil, fut obligé de déclarer qu’il en avait eu l’information mais "pas précisément". Puis ce fut le tour du Président de la République Francesco Cossiga d’avouer qu’il était bien au courant et, plus tard, tout simplement, qu’il était fier d’avoir participé à ce réseau par devoir patriotique. Cossiga essaie de faire peur en brandissant le spectre des années 70, et il n’est pas dit qu’il faille s’en moquer comme beaucoup le font dans la presse italienne, il suffit de regarder la situation actuelle.

Si l’actuel Président Mr Giorgio Napolitano a commencé à lancer des appels répétés au respect de la Constitution, Silvio Berlusconi ne s’en soucie guère et menace le mouvement actuel des foudres de la répression policière. Cossiga essaye de semer la panique mais ce n’est pas cette tentative de diversion qui est inquiétante, c’est que Berluconi, lui, nous a déjà fourni à Gênes les preuves de son savoir faire en la matière (6). Ses menaces répétées de faire entrer les forces de l’ordre dans les universités, les mesures anti-grèves du Ministre Maurizio Sacconi, suffisent amplement à démontrer la peur du gouvernement. Cependant, la contestation ne cesse de grandir et le mouvement étudiant gagne en ampleur. Toutes les universités italiennes sont touchées, des occupations, des assemblées générales permanentes, la formation de comités de luttes, les cours « sauvages » dans les rues et dans les gares. Parallèlement des formes d’actions diverses refont surface dans le pays. Le 25 octobre, dans plusieurs places italiennes des distributions de pain à 1 euro ont eu lieu à l’initiative des G.A.P. (Gruppi di Acquisto Popolari) - dont le sigle est directement emprunté aux GAP de la Résistance (Gruppi di Azione Patriottica) - contre le coût de la vie : « la crise que nous vivons est la conséquence des politiques néolibérales et des privatisations faites de précarité et de bas salaires, d’agression contre les biens publics et de casse du service public et de l’école. » Cette politique « a ravagé nos villes et nos quartiers (...) a semé la peur et l’anxiété, car l’appauvrissement généralisé est vécu dans la solitude, comme une faute subjective qui te rend méchant contre ceux qui se trouvent une marche au dessus de la tienne. Un processus d’appauvrissement qui pendant des années n’a pas rencontré une réponse dans la politique et l’action collective. Ainsi la pauvreté, en plus d’être une faute, est devenue invisible. » (7)

C’est précisément ce qui a conduit à la défaite électorale d’avril dernier et à la multiplication des formes de violence racistes et politiques de ces derniers mois. Gageons que ce « printemps » italien conduise à des réelles constructions politiques et sache faire face aux menaces gouvernementales. Giuseppe di Lello (8) le dit clairement : « ne perdons pas de temps à discuter si nous sommes ou non dans un « régime » et essayons de saisir toute la gravité de l’actuelle phase politique et institutionnelle, car la divergence et la contestation constituent le sel de la démocratie. Menacer de les réprimer par la force est un attentat à la Constitution. Réagissons démocratiquement et défions ce « non régime » en grossissant toujours plus la vague qui se déverse dans les occupations, dans les assemblées, les cortèges, les grèves. » (9)

Mais pour que cette réaction démocratique se concrétise il faut bien davantage qu’une multiplication de mouvements, si puissants soient-il. Et sans illusions sur des convergences politiques de fond avec le Parti Démocrate (PD), sans un véritable front commun défendant au moins les valeurs constitutionnelles il sera impossible de faire face à la répression : « La conférence de presse du Président du Conseil (Berlusconi, Ndr) révèle, sans ambiguïtés toute la violence contenue dans la conception de gouvernement qui inspire sa coalition. Et fonctionne immédiatement comme démultiplicateur des luttes » (10) affirme Marco Bascetta dans Il Manifesto, mais « Face à une telle perspective, même le PD a du rompre le silence et s’interposer entre les étudiants et le Ministre de l’Intérieur. Mais il (le PD, Ndr) devrait être conscient que si le Cavaliere, comme il en fait la menace, passait à des actions répressives, il ne pourrait pas faire marche arrière. » (11)

Le PD qui vient de réussir sa grand manifestation romaine du Circo Massimo (deux millions et demi de personnes selon les organisateurs) parle d’un grand rassemblement d’une « Italie antifasciste meilleure que ceux qui nous gouvernement » et se déclare prêt a une opposition réformiste capable de préparer l’alternative de gouvernement. (12) Or se présenter seulement comme « le meilleur » prétendant à la direction du pays dans une simple logique d’alternance, face à un gouvernement qui foule aux pieds jusqu’aux fondements de la démocratie formelle ne représente pas le moindre progrès vers le début de la construction d’une alternative. Après le bilan catastrophique du gouvernement Prodi, avancer sa candidature sans même ébaucher la moindre autocritique revient tout simplement à proposer de nouveau ce qui a échoué il y a à peine six mois. Pour l’alternative, on est loin du compte. Encore un effort, le mouvement continue.


(1) apprécions le grand respect envers la Magistrature témoigné par un ancien Président, qui de par sa fonction était censé être le garant de la Constitution.

(2) Pour plus d’informations sur l’affaire Gladio. Un article significatif du Corriere della Sera sur l’affaire : http://archiviostorico.corriere.it/2001/febbraio/21/Nuove_carte_Gladio_Roma_apre_co_0_0102215217.shtml Rapport de la commission d’énqête du Sénat de la République sur l’affaire Gladio : www.senato.it/documenti/repository/...http://www.fondazionecipriani.it/Sc..., Par ailleurs il existe une imposante bibliographie sur l’affaire. et audition de temoins :

(3) Il s’agit d’un avion de la compagnie privée Itavia qui précipita en mer au large de la Sicile dans des circonstances mystérieuses en 1980 jeu deux mois avant le massacre de la gare de Bologne. Plusieurs hypothèses furent émises alors. Il fut découvert à la suite que l’avion de Mouammar Kadhafi devait passer à proximité de l’avion civil et qu’un véritable chassé-croisé de tires de missiles aurait eu lieu prenant par erreur pour cible, l’avion d’Itavia. Kadhafi prit un autre avion et la carcasse d’un MIG libyen fur retrouvé pas loin dans le promontoire de la Sila et disparut aussitôt du regard des éventuels indiscrets. La question brûlante de l’affaire c’est que, s’il y a eu tir de missiles, il s’agissait de missiles américains ou français lancés depuis une base de l’Otan voisine. Tous les témoins directs de l’affaire (aiguilleurs du ciel, pilotes, employés des stations de radar) sont morts les uns après les autres dans des accidents de voiture ou autres incidents. Tous ces faits sont rapportes scrupuleusement dans de nombreuses instructions de la magistrature italienne, dans les actes de plusieurs commissions d’enquête parlementaires, dans des très nombreuses recherches de journalistes. Sur les déclarations de Cossiga : http://archiviostorico.corriere.it/...

(4) Naomi Klein, La stratégie du Choc, Leméac/Actes Sud, 2008

(5) Il s’agit d’un réseau mis en place dans 14 pays d’Europe occidentale à la fin de la seconde guerre mondiale comportant une collaboration étroite entre la CIA et les gouvernements des pays concernés pour « lutter contre l’avancée du communisme ». La dénomination italienne du réseau Gladio (glaive) fut impliquée dans les tentatives de coups d’état, les attentats à la bombe et les tentatives d’infiltrations et de déstabilisations en tout genre, faisant amplement recours à des troupes américaines entraînées à cet effet dans la base américaine de Capo Marraggiu en Sardaigne. A la suite des révélations et des enquêtes parlementaires et de la magistrature une procédure de destitution pour « attentat à la Constitution » fut engagée contre M Cossiga, mais ne parvenant pas à obtenir la majorité du Congrès elle n’obtint aucun résultat.

(6) Massimo Calandri, Bolzaneto, la mattanza della democrazia, Roma, derive/approdi, 2008

(7) Francesco Piobbichi e Angela Lombardi, Vi spieghiamo cosa sono i Gap « gruppi di acquisto popolari, Liberazione 26-10-2008

(8) Ancien magistrat à Palerme et ancien responsable de la commission antimafia, membre du Parti dela Réfondation Communiste (PRC)

(9) Giuseppe Di Lello Prove di regime, Il Manifesto, 23 Octobre 2008.

(10) Marco Bascetta, Dichiarazione di guerra, Il Manifesto 23 octobre

(11) id.

(12) L’Unità, 25 octobre 2008

Image : "Le massacre des innocents" d'après Raphael, par Marcantonio Raimondi (V 1480, V 1530), Gravure sur cuivre, Bibliothèque nationale, Paris

lundi 20 octobre 2008

Italie : le retour de la Gauche?


Cet automne marquerait-il un retour de la gauche en Italie après la débâcle électorales du printemps qui a vu les partis se réclamant de la gauche, et en particulier les partis communistes, éliminés du parlement.C’est ce qu’espèrent ses militants après la grande manifestation du 11 octobre et la grève générale et les manifestations du 17 octobre.
Cet été les congrès des deux partis communistes, mais aussi sur un autre plan le succès de la pétition Communistes, commençons par nous , avaient révélé la forte aspiration au maintient d’une force communiste et à l’unité des communistes en Italie. Tant au congrès du Pdci qu’à celui d e Rifondazione (PRC) fut rejeté la perspective de la création d’une force de gauche, la gauche arc en ciel, où le courant communiste ne serait, pour reprendre les mots de Fausto Bertinotti, qu’un « courant culturel ». Et dans l’un et l’autre parti cela se fit en rupture avec le leader charismatique : en douceur au Pdci, où le maintenu secrétaire général, a définitivement rompu avec le fondateur Armando Cossuta engagé dans le refondation de la gauche, et dans la douleur à Rifondazione, ou le congrès s’est déchiré, en rejetant les "bertinottiens", qui se présentait autour de Nichi Vendola, dans l'opposition et en élisant un nouveau secrétaire, Paolo Ferrero.

La manifestation du 11 octobre, initiée principalement par le PRC et le Pdci, mais aussi des Verts, a rassemblé entre 100 000 et 200 000 personnes dans les rues de Rome, sous une nuée de milliers de drapeaux rouges marqués de la faucille et du marteau. Cette manifestation était marquée par la présence de nombreux jeunes et de militants du mouvement associatifs et syndical, en particulier de la FIOM, le grand syndicat des métallo mais aussi de « l’Italie des valeurs »
Une manifestation diverse donc, mais à très forte coloration communiste. Et qui révèle l’aspiration grandissante à l’unité parmi eux. En témoigne les protestations qui accompagnèrent la présence de Fausto Bertinotti qui venait de parler peu de temps auparavant du « communisme indicible »; mais plus encore les réactions aux discours des orateurs : ainsi en réponse à Ciro Argentino, qui invitait les communistes à l'unité, toute la place a lancé d’un seul cri : "uno! uno! un partito!" (Un seul,un seul, un seul parti !)
Cette unité pourrait se matérialiser au moment des élections européennes, ou l’instauration d’un barrage électoral par le gouvernement Berlusconi, qui vise à réduire le pluralisme politique au nom de l’efficacité, pousse à l’agrégation des forces communistes. Les déclarations des dirigeants des deux partis montrent que cela évolue aussi dans la majorité du PRC qui était jusqu’à présent plus réservée.

A la grève du 17 octobre ont participé environs deux millions de salariés et près de cent mille personnes se sont retrouvées, en dépit de pluie, à la manifestation de Rome à laquelle le PRC et le Pdci avaient adhéré. Il s’agit, d’après les organisateurs (RdB-Cub, Cobas et Sd, des organisations syndicales dites « de base », indépendantes du syndicalisme confédéré et très implantés dans les services publics), "de la plus grande démonstration de l'histoire du syndicalisme de base en Italie", avec beaucoup d’étudiants, de professeurs, de parents etc.

Ces évènements montre que c’est hors du parlement et des grandes confédérations syndicale que s’organise la résistance.
On l'a constaté autour de la défense des Roms, contre la chasse aux immigrés, etc. Ce réveil des mouvements sociaux et des partis communistes permettra-t-il d’engager une véritable contre offensive contre la politique d’une droite italienne en voie de fascisation?
Au de là de l’unité du courant communiste c’est bien l’enjeu pour tous les progressistes en Italie et en Europe.

vendredi 3 octobre 2008

Tabassé et "marqué"

Traîné, arrêté, passé à tabac ; puis dénudé et humilié une fois arrivée au siège de la police municipale. Dépossédé aussi de ses droits, comme celui de passer un coup de téléphone chez lui. Et même dénigré: une fois relâché, sur l'enveloppe qui contenait le procès- verbal des charges qui lui étaient adressées (une enveloppe officielle de l a Commune de Parme, avec l'emblème de la ville) pas de nom ni de prénom mais la mention "Emmanuel, nègre", comme si la couleur de sa peau n'était pas un fait naturel mais un honte. D’ailleurs "nègre de merde " atteint désormais des sommets dans la hit parade de l'injure les plus utilisée en Italie ; Il est suivie de près par "sale juif"; stable : le débonnaire "arabe terroriste"; chute : l'ancien "cul terreux(même s’il reste en tête au Nord). Et, dans un pays où il n'y a même pas un mois, à Milan, un jeune de 9 ans (un italien mais de couleur) a été massacré à coup de barres de fer parce que soupçonné d'avoir volé un paquet de gâteaux, cela n'étonne pas (et peut -être ne suscite même plus l'indignation) que ces expressions soient utilisées par des officiers dans l'exercice de leurs fonctions.
Bonsu Emmanuel Foster, pendant qu'il raconte sa mésaventure aux cameras du siteRepubblica.it de Parme, il n'arrive pas à garder son oeil droit ouvert, encore gonflé par le passage à tabac. Mince, à peine au-dessus du mètre soixante , Emmanuel est un jeune immigré du Ghana de vingt-deux ans(précisons qu'il est régulier, au cas où cela intéresserait quelqu’un et si le fait d'être régulier ou irrégulier peut changer quelque chose à un épisode comme celui-ci). Lundi après-midi, peu après 18 heures, il allait à l'école (il fréquente un institut technique du soir). En avance sur le début des cours, après avoir déposé son cartable avec ses papiers à l'intérieur de la salle de classe, il décide de se balader dans le parc ex Eridania en face de l'institut. Il est 18h25. Emmanuel remarque derrière lui deux hommes qui parlent avec leurs portable et un troisième qui s'approche. Tout d'un coup, et sans s'identifier, dit le jeune homme, celui-ci lui bloque ses mains, rejoint par les deux autres qui l'encerclent. A ce moment Emmanuel se débat et commence à vouloir s'enfuir, ils le rattrapent et le jettent à terre. "Ils m'ont mis un pied sur la tête - dit-il- et il ont commencé à me frapper. Puis ils m'ont menotté, l'un d'entre eux m'a donné un coup de poing. Il dit qu'il l'on frappé avec des matraques " peut-être des bouteilles d'eau". Certainement ils lui ont fait mal. Le passage à tabac continue dans la voiture de service qui le transporte au siège des vigiles urbains. Les phrases racistes fusent : "Nègre", "Calme-toi nègre ». Une fois arrivées au siège de via del Taglio - Celui-là même où, à la mi-août, une prostituée nigérienne avait été abandonnée pendant des heures, évanouies dans sa cellule - les agents continuent leur "show" très personnel. Entre temps arrive la justification de l'arrestation : arrêté parce qu'il s’enfuyait. Etant donné que personne ne s'était identifié comme policier, il semble tout à fait légitime que le jeune homme ait eu peur et ait tenté de s'enfuir. Conduit en cellule, ils l'obligent à se déshabiller. Une fois totalement nu, ils le font "défiler hors et dans la cellule. "J’avais peur - dit il- ils voulaient m'obliger à signer des documents mais je m'y suis opposé. J'ai demandé d'appeler chez moi, ils m'ont dit que je ne pouvais pas si je ne signais pas d'abord. Il lui montrent un morceau de "shit», ils lui disent "nègre, nous l'avons trouvé dans ta poche" ; ils affirment que l'autre détenu dans la cellule a avoué sa complicité. Emmanuel insiste, il dit qu'il ne le connait même pas, puis il cède et signe les papiers. Il est environs 22 heures quand les agents appellent les parents du jeune homme. Son père Alex, ouvrier métallurgiste, est en Italie depuis 1995 ; vers 23 heures il arrive au commissariat avec son épouse. Dès qu'il voit son fils mal en point, il demande des explications aux policiers. "Il est tombé", répondent-ils. Le père furieux, demande à son fils s'ils l'ont frappé. "Il m'a juste répondu oui", dit-il. Puis ils le relâchent. A son père ils donnent enveloppe avec le procès-verbal avec la mention,"Emmanuel négre". Le jeune homme se rend aux urgences : on y constate un hématome et une blessure à la main. Il boite. Hier matin, Emmanuel se présente à la caserne des carabiniers pour porter plainte.
L'office national contre les discriminations a ouvert une enquête pour faire la lumière sur les faits. La Commune en diligente une en interne. La commandante des vigiles, Emma Monguidi, dément les accusations ; elle affirme que "deux agents ont également été blessés" ; des phrases racistes, on ne veut même pas en entendre parler. Le vaillant maire adjoint à la sécurité, Constantino Monteverdi, assure qu'il "ira jusqu'au bout". En attendant dans le doute, il parle d'une arrestation "plutôt mouvementée et qui a blessé deux agents" vraisemblablement " de la part du jeune homme. Vraisemblablement.

Article de Alessandro Braga pour Il Manifesto 1 octobre 2008 Traduit par L. A. pour Le grand Soir

jeudi 2 octobre 2008

17 ANS par Jean Ferrat

Je l'ai vue je l'ai vue je vous jure un matin
Arrivant en avion de son pays lointain
Aussi fraîche aussi tendre aussi gaie qu'un printemps

Et s'arrêta le temps


Elle avait le teint mat des yeux croissant de lune
Sur ses reins qui dansaient deux longues tresses brunes

Donnaient à sa jeunesse un éclat triomphant

Sous le soleil levant


Elle était à la fois timide et sûre d'elle

Par sa voix ses propos sa grâce naturelle

Rien ne la distinguait des filles de ce temps

Elle avait dix-sept ans


Nulle ombre ne voilait son regard enfantin

Nul regret ne faisait palpiter sa poitrine

Elle avait au combat de sa main douce et fine


Tué dix américains

Illustration :
Gilles Aillaud "La bataille du riz" 1968, huile sur toile, 200 x 200 cm