lundi 16 juillet 2007

Réflexions d’été


Le poète italien Edoardo Sanguinetti, qui fut en son temps député du PCI, a déclaré à l’occasion d’une récente élection locale à Gênes :

« Que le prolétariat existe et continue à être exploité est un secret de Polichinelle. Il faut restaurer la haine de classe. Les patrons nous haïssent et nous ne les haïssons plus ! »

dimanche 15 juillet 2007

C. LAGARDE ERRE

ou
Comment la nouvelle « dame de fer » du l’UMP-MEDEF
Mène son combat patronal aux cris de « à bas la lutte de classe » (ouvrière)

par Georges Gastaud, philosophe

"Le Ministre de l’Economie et des Finances, figure de Businesseurope, candidate présumée au rôle de « Dame de fer » française, Madame Christine Lagarde a lu ce 10 juillet un véritable Manifeste du parti patronal devant des députés UMP enthousiastes. Elle y dénonce avec virulence le « Droit à la paresse » du socialiste Paul Lafargue (1880) et la « lutte des classes » de Marx ; elle y fustige les chômeurs et autres « assistés » et elle termine par des propos qui se veulent assassins contre les intellectuels français et contre… l’activité même de penser ! Ce brûlot réactionnaire vise à justifier la stratégie sarkozyste de « rupture » qui va se traduire pêle-mêle dès cet été par la casse du droit de grève, par la franchise sur les remboursements médicaux, la mise en concurrence des universités, la suppression de 30 000 postes dans la fonction publique (dont 17 000 dans l’enseignement public !), la vente à la criée du capital public de France Télécom, la privatisation accélérée de GDF et d’EDF, la libéralisation des activités postales, le feu vert donné aux actionnaires de Danone pour vendre aux fonds de pension ce fleuron de l’agroalimentaire français, par de nouvelles attaques contre le code du travail, par la création d’une garde prétorienne (fusion du GIGN et de la garde présidentielle !) et, cerise sur le gâteau de cette revanche sur 89, 36, 45 et 68, par le lancement de la constitution européenne bis rédigée par Merkel et contresignée par son féal Sarkozy au mépris du 29 mai 2005.

Face à ces attaques antisociales et antinationales d’une brutalité sans égal depuis 39/40, les intellectuels marxistes, -qu’ils soient de formation universitaire et/ou de formation militante-, se doivent de mettre en pratique la devise de Georges Politzer, ce professeur de philosophie communiste qui releva le drapeau des Lumières et de la Pensée en 1940, et qui fut pour cela livré aux bourreaux nazis par le gouvernement « français » de capitulation nationale : « l’esprit critique, l’indépendance intellectuelle ne consistent pas à céder à la réaction, mais à ne pas lui céder », écrivait alors Politzer." (...)

lire la suite de ce texte décapant sur "changement de société"

vendredi 13 juillet 2007

Cold case : Affaires classées

Cet été, comme l'an dernier France 2 diffuse chaque mercredi soir 1 ou 2 épisodes de la troisième saison et quelques épisodes des deux premières saisons de cette magnifique série télé.

Depuis quelques années la télévision américaine, et pas seulement des réseaux cablés comme HBO, produisent des séries qui démontrent la créativité, l'audace, le sens artistique des créateurs américains, bien supérieurs à celles qui peuvent s'exprimer par exemple dans le cinéma hollywoodien. Et qui fait sentir l'indigence abyssale de la fiction télévisuelle en France. (Mais ne croyez pas que je sois un inconditionnel des séries américaines, dans lesquelles il y a du très bon et du très mauvais)

Presque toujours dans Cold Case, il est question de secrets de famille, d’une personnalité inadaptée à son milieu ou à son époque, d’amours contrariées, et d’une fin violente qui, si elle n’est généralement pas préméditée, semble aussi absurde qu'inévitable. Le tout avec une bande son fabuleuse, qui reprend des standards de l'époque du meurtre non élucidé. Et ce n'est pas une simple illustration sonore mais la musique constitue souvent un élément dramatique essentiel de chaque épisode.

Dans l'excellente production américaine, Cold case occupe à mon gout une place particulière. Non pas que sa forme soit particulièrement innovante (comme 24H par exemple). Que les acteurs (excellents au demeurant) soient particulièrement originaux, que leur personnage (très bien écrit) soit spécialement complexes.

Non cette série touche parce qu'en interrogeant le passé elle revisite l'histoire de l'Amérique et le plus souvent non pas l'histoire glorieuses des "gagnants", mais celle des victimes du système.
de ceux qui étaient trop marginaux ou trop en avance... qu'il s'agisse du meurtre d'une lesbienne au moment de la prohibition, des militants anti avortement dans les années 60 (L’Indic "Volunteers") , une femme qui s'émancipe par le travail en usine durant la 2ème guerre mondiale (Ouvrières de guerre- "Factory Girls"), sur les conséquence de la vente libre des armes (De mains en mains - « Time to Crime ») etc.

Cette série touche aussi parce qu'elle abordent les problème sociaux, les problèmes de classes avec une franchise impensable à la télévision française .
Dans quelle série le marcatysme est il abordé par l'enquête sur le meurtre d'un "communiste"(Chasse aux sorcières ou « Red Glare ») ou l'on voit comment le « système » pouvait alors broyer des individus, et que le seul crime de ces supposés « communistes » était, souvent, leur courage.

Comment ne pas se rappeler le cinema social des années 30 avec un épisode comme la manufacture (Kensington) dont voici un résumé pris sur le site de Martin Winckler : "La fin de la classe ouvrière. Quartier ouvrier de Philadelphie, 1985. Une manufacture ferme ses portes, laissant sur le carreau ses travailleurs. Cet épisode rend hommage aux victimes de la désindustrialisation, et montre que les solidarités et les amitiés les plus profondes ne résistent pas à la nécessité de s’en sortir. Le monde a changé, peut-être pas seulement en bien... La bande originale de Kensington est entièrement composée de chansons de John Cougar Mellencamp, songwriter engagé qui a notamment organisé en 1985 le concert Farm Aid, destiné à venir en aide aux agriculteurs américains surendettés."

Enfin pour se rendre compte de la qualité de la série un extrait de l'épisode Le cavalier noir "Strange fruit", dont voici le commentaire (toujours sur le site de Martin Winckler ) :
"Un des plus beaux épisodes de la série, sur un scénario de Veena Sud. De superbes flash-backs en noir et blanc pour décrire la société également « en noir et blanc » de l’Amérique de 1963. Une famille noire s’installe dans une banlieue résidentielle blanche et se heurte à un racisme profondément ancré dans les esprits. Cela se passait il y a 40 ans, aux Etats-Unis, et on ne peut que mesurer le chemin parcouru (même si tout est loin d’être parfait aujourd’hui).
Cet épisode rappelle les difficultés de la « déségrégation » entreprise dans les années 1960, et montre que le mouvement des « civil rights » mené par Martin Luther King n’a pas fait changer les mentalités en un jour. C’est aussi le portrait d’un jeune homme loyal, courageux, intelligent, mais malheureusement un peu trop en avance sur son époque. La scène finale, sur fond de « I have a dream » de Martin Luther King, risque fort de vous faire pleurer à chaudes larmes."

mercredi 4 juillet 2007

Sinistra 2

UNE INTERVIEW DE ROSSANA ROSSANDA

J’avais promis de suivre (voir l'article Sinistra) le débat sur l’unité de la gauche en Italie. Voici une interview de haute volée de Rossana Rossanda, parue dans Liberazione du 3 juillet 2007. Rossanda est une grande intellectuelle, une des personnalités du mouvement communiste et du marxisme les plus respectée en Italie. Responsable de la culture au Pci au début des années 60, elle est ensuite expulsée du parti, Elle est fondatrice du Manifesto.

Dans ce texte une des plus influentes membres de la culture de la gauche italienne, semble sceptique devant le débat qui se développe en ce moment sur un nouveau « sujet unitaire» de la gauche.

Rossanda. Selon toi pourquoi en ce moment tous parlent de "sujet unique" de la gauche et qu’on n'emploie pas la vieille - mais peut-être plus claire - formule de parti. De quoi s'agit-il?
Je ne saurais te répondre. Je vais te donner mon intuition. Je suppose qu’au "Sujet" serait laissée la principale articulation, de sorte que chaque organisation particulière puisse maintenir ses vertus et ses défauts. Ainsi que son appareils et - pourquoi pas ? - ses financements. De toute façon il me semble que même le choix de mots comme celui-ci reflète la méfiance diffuse pour la forme parti. Forme beaucoup diabolisée mais peu analysée. En somme, tous considèrent comme acquis qu'un parti ne peut être, par nature ou nécessité de fonctionnement, qu’enrégimentement vertical et antidémocratique. Mais tout cela fournit un alibi pour éluder une réponse forte.

Et que serait "une réponse forte" ?
Les polémiques ne me plaisent pas et donc je me garde bien d’en faire. Cependant, il y a peu de temps, quelqu'un, en soutenant la nécessité de vite procéder à une agrégation de la gauche existante, a soutenu qu'au fond les diverses composantes de la gauche italienne ont beaucoup plus de choses en commun que n’en avait par exemple Die Linke en Allemagne. Bien, il suffit d'aller lire les documents du congrès allemand. Et ainsi de découvrir que ce parti esquisse des analyses sérieuses, efficaces du développement capitaliste. Et qu'il définit pour lui-même un rôle d'opposition à la domination du capital. Un mot ancien mais qui me semble encore le plus approprié. Voilà une idée forte. De celle qui manque en Italie.

Tu ne pense pas être une peu sévère ? Au fond l'Italie n’a-t-elle pas été un peu le berceau d'une nouvelle pensée critique ? Il suffit de penser à Gênes, au Social Forum. Parce que n'est-ce pas de l’Italie, de cette gauche qu’est partie l'idée d'un rapport fort entre politique et mouvements sociaux?
Réfléchissons alors à ces mouvements. Je crois qu'ils sont importants. Ils l’ont été et ils le resteront. Mais ce n'est pas avec la spontanéité que nous affronterons les questions décisives...

Pour comprendre : Le projet auquel a donné vie Rifondazione, celui de la «Gauche européenne», et le même "Sujet pluriel" qui devrait unir la gauche et qui prévoit des formes stables de relations avec le "social", à toi cela te semblent-il des expériences inutiles ? N'est pas là le chemin pour rénover la politique ?
Soyons clairs : je ne suis pas indifférente à celui qui parle de la nécessité de construire une "masse critique"(1) pour peser sur les institutions, et qu'elle doit avoir même une dimension telle qu'elle ne puisse pas être écarté dans les équilibres de gouvernement. Jusqu'ici nous sommes d’accord. Dans tout cela, cependant, il reste un point à définir: que représente ce sujet, quel "bloc historique" de 2007 exprime-t-il, quel but poursuit-il ? Ou peut-être, y a-t-il quelqu'un qui soutient qu'une société complexe amène à l'existence de plusieurs "petits blocs" historiques ?
Mais soyons sérieux, par pitié! La définition de sujet "pluriel" qu'on entend en ce moment, fait allusion à une sorte d'addition ou de fédération, destinée à rassembler le plus de sensibilités possibles mais qui, je le répète, servirait seulement à éluder les thèmes les plus épineux.

Qui seraient ceux relatifs à la définition d’une stratégie pour sortir de la domination du capital, c’est ça ?
Pouvons-nous parler clairement ?

C’est l'occasion justement.
Alors nous devons partir du premier de ces "thèmes épineux". La question est : sera-il un sujet anti-capitaliste ou non ? Et que signifie être "anti-capitaliste" en pleine mondialisation ?

Même ici Rossanda, je ne crois pas qu'on parte de zéro. Tu ne peux pas nier que cette gauche, même et par-dessus tout la gauche sociale italienne, a oeuvré à définir les grandes lignes d'une politique antilibérale ?
Aujourd'hui se dire "antilibéral" ne se présente même pas comme une tactique, parce que pour ce faire il devrait être inséré dans un horizon et un parcours qui ne sont pas même esquissés. C’est clair, ils ne sont pas esquissés et encore moins en mouvements. Sûrement les antilibéraux sont plus sympathiques parce que, au moins, ils ne reflètent pas les intérêts, pauvres et inévitables, d'un appareil partitique. Mais je le te répète : tous ces antagonismes, chacun radical et séparé, ne mettent pas en discussion, même de manière lointaine, un système, puissant et capable d'une répression liée au consensus, qu'il y a trente ans aucun de nous n’imaginait.

Alors le Capitalisme est imbattable ?
C’est un Capitalisme auquel il faudrait s’opposer. Mais sommes toute, que savons-nous de ce qu'est aujourd'hui la Chine ou l’Inde ? Ils sont seulement les exemples flagrants du consentement au capitalisme. Capitalisme qui laissé à lui-même, portera à de nouvelles et dramatiques guerres commerciales. Et je ne suis pas la seule à le dire, il suffirait de lire Immanuel Wallerstein. Une terrible régression. Mais qui en discute, ici, en Italie ? Qui en discute à gauche ? Personne.

Mais si le cadre est ce que tu définis, pourquoi en Italie la discussion sur le rôle de la gauche a-t-elle repris vigueur ? Seulement parce qu'explosent les DS ?
Je présume que oui. Je te dirai plus : de notre point de vue, l'ancienne idée que chaque grand parti représente un bassin social et électoral stabilisé est invalidée. Bassin qui, s’il est laissé sans référence, attend seulement d'être rempli par d'autres qui en reflètent la culture et les besoins. Je ne suis pas certaine que cette thèse, que cela soit clair – qui a alimenté même les nouvelles gauches dans les soixante-dix, soit corrigée, ni même qu’elle soit juste.

La crise d'un grand parti n'est jamais seulement la crise de son groupe dirigeant, elle révèle même beaucoup plus : une incertitude diffuse de ce qu’on est, alimentée par la réticence à se regarder en face. La crise d'un parti change les perspectives et réoriente les besoins. En somme, on perd beaucoup de gens en route. Sans compter que le "grand parti" est rassurant en soi, et il n'est pas dit que les autres partis, qui se présentent comme plus "fidèles aux origines", réussissent à attirer ses ex adhérents. C’est là une erreur que nous avons fait tous, et qu’a longtemps commise - pourquoi ne pas le dire ? - Rifondazione.

Tu peins un cadre sombre. Pourtant – à bien y regarder - à cette gauche italienne, qui évite avec soin de se mesurer avec les problèmes réels dis-tu, à cette gauche il a suffi de retrouver un minimum d'unité d'action parlementaire pour gagner une augmentation des plus petites retraites.
Quelques dizaines d'euro bruts par mois pour des personnes qui en gagnent cinq cents. Les bras m’en tombent. Mais même dans ce cas : en Italie il y a une gauche qui n'a pas encore affronté de face le point dur de l'Europe, cette institution qui est un élément important de la domination capitaliste globale. Domination qui de fait rend très difficile, presque impossible n'importe quelle hypothèse redistributive. Pourtant, même ici, la gauche italienne n'en parle pas. Elle s'occupe d'autre chose. Mais je ne voudrais pas être mal compris : si les différents sigles de la gauche trouvent quelque accord d’unité d'action sur le plan institutionnel, à court terme, je dis que c’est mieux que rien . Mais je ne pense pas qu'ils réussissent à aller au-delà. J'insiste : c’est mieux que rien. Et si ensuite ils arrivent même à théoriser tout cela, bah... Mais vraiment nous n’y sommes pas encore.
(...)

(1) référence au déclarations de Fausto Bertinotti à ce propos. (NDT)

traduction : Caius Gracchus

A quoi servent des députés communistes?

Un article intéressant à connaitre ...

DECLARATION LE GROUPE COMMUNISTE DISSOUT

Les faits : au lendemain des élections législatives, l’Assemblée nationale compte 18 députés communistes et républicains, 4 verts et 2 députés d’Outre-mer. Une bataille s’engage pour abaisser à 15 le nombre de députés nécessaires afin de constituer un groupe politique – bataille importante car un groupe politique dispose de moyens importants.

Au lieu de quoi, le groupe communiste et républicain a été dissout. Un mini complot a été organisé avec Patrick Braouezec et Noël Mamère pour sortir le président Alain Bocquet. Un groupe dit de gauche démocratique et républicaine, présenté comme un groupe « technique », a été mis en place.

Il abandonne de fait la référence communiste et vole aux 18 députés les moyens auxquels ils ont droit puisque la répartition prévue est de un tiers pour les communistes, un tiers pour les verts et un tiers pour les députés d’Outre-mer.

A signaler une attitude méprisante et odieuse vis-à-vis des collaborateurs du groupe qui ont été virés sans délai pour laisser la place à ces nouveaux seigneurs de l’ouverture que sont les refondateurs et les verts.

Tout cela s’est fait avec la bénédiction de Marie-George Buffet.

Chaque communiste de France doit connaître cette vérité cachée jusqu’à aujourd’hui, qui masque cette entreprise de démolition et efface l’identité communiste.

Cinq députés, André GERIN, Jacques DESALLANGRE, Jean-Pierre BRARD, Jean-Jacques CANDELIER et Maxime GREMETZ ont décidé de créer une composante communiste et républicaine.

André GERIN

lundi 2 juillet 2007

Religion ou politique?

"Pour analyser les idées, les attitudes et les humeurs de la gauche d’aujourd’hui, il faut partir de loin.

1. Un événement éclairant d’ il y a presque deux mille ans.
Soixante-dix après Jésus Christ : la révolution nationale juive contre l’impérialisme romain est contrainte de capituler après un encerclement implacable qui avait condamné Jérusalem non seulement à la famine, mais aussi à la désagrégation de tous les rapports sociaux : « Les enfants arrachaient le pain de la bouche des pères et, ce qui est le plus douloureux, les mères de la bouche de leurs enfants ». Si le siège avait été terrible, les mesures prises pour y faire face ne l’avaient pas moins été. Sans la moindre pitié on avait infligé la mort aux traîtres et aux déserteurs, réels ou potentiels ; aux suspicions, amplifiées de façon maladive, s’étaient mêlées les fausses accusations souvent proférées par des individus ayant des objectifs personnels et ignobles. Les tortures infligées à ceux que l’on soupçonnait d’avoir caché de la nourriture n’avaient épargné ni les vieillards ni les enfants. Mais tout cela n’avait servi à rien : au triomphe des romains correspondait non seulement la mort des chefs et des militants de la révolution nationale, mais aussi l’exil et la diaspora d’un peuple tout entier.

C’est un auteur juif ayant lui-même participé à la lutte de résistance qui rapporte ces détails. Mais étant désormais passé du côté des vainqueurs, dont il célèbre la magnanimité et l’invincibilité, Joseph- c’est son nom- est devenu Flavius Joseph, prenant le nom de famille des chefs de guerre qui avaient détruit Jérusalem. Les conséquences pour les chrétiens sont plus importantes que ce changement de camp. A l’origine partie intégrante de la communauté juive, ils ressentent le besoin de déclarer n’avoir rien de commun avec la révolution qui venait d’être matée. Ils continuaient de se référer aux textes sacrés, sacrées aussi pour les révolutionnaires vaincus, mais ces derniers étaient accusés de les avoir déformés et trahis.

C’est une dialectique que l’on peut suivre de près surtout à partir de l’Evangile de Marc, écrite immédiatement après la destruction de Jérusalem. Une catastrophe prévue par Jésus : « Il ne restera pas pierre sur pierre ». Et l’avènement de Jésus le Messie avait été prophétisé à son tour par Isaïe. La tragédie qui s’était abattue sur le peuple juif n’était pas d’abord à mettre au compte de l’impérialisme romain : d'un côté elle était originairement inscrite dans l’économie divine du salut, d’un autre côté elle était le résultat d’un processus de dégénérescence interne à la communauté juive. Les révolutionnaires avaient eu le tort d’interpréter le message messianique en une clé séculière et politique, plutôt que spiritualiste et intimiste : l’horreur et la catastrophe ont été le résultat inévitable de cette déformation et de cette trahison. En prenant nettement leurs distances avec la révolution nationale juive brisée par l’empire romain, les chrétiens prenaient aussi leur distance, de façon tout aussi net, avec l’action historique et politique en tant que telle.

2. Histoire des classes subalternes et histoire des mouvements religieux

Gramsci a montré comment, même dans le monde contemporain, des attitudes religieuses (plus ou moins explicites) peuvent se manifester dans le cadre de mouvements d’émancipation des classes subalternes. Prêtons attention à la dialectique qui s’est développée à la suite de l’écroulement du « socialisme réel ». Laissons de côté ceux qui se sont empressés de monter sur le char des vainqueurs, concentrons-nous au contraire sur les dégâts et sur les dévastations spirituelles et politiques que cet écroulement a produit dans certains secteurs du mouvement communiste. De même que les chrétiens de l’Evangile de Marc s’adressant aux romains vainqueurs, s’engageaient à déclarer leur totale étrangeté par rapport à la révolution nationale juive à peine défaite, de nombreux communistes se conduisent ainsi de nos jours : ils repoussent, dédaigneux, le soupçon qu’un quelconque fil puisse les relier à l’histoire du « socialisme réel » et, réduisant cette dernière à une simple succession d’horreurs, ils espèrent parfois regagner une crédibilité aux yeux mêmes de la bourgeoisie libérale.

Marx a synthétisé la méthodologie du matérialisme historique en affirmant que « les hommes font eux-mêmes leur histoire, mais dans des circonstances qu’ils n’ont pas choisies ».

De nos jours, si quelqu’un essaye timidement de rappeler l’état d’exception permanent dans lequel s’est déroulé la période commencé avec la révolution d’octobre, si quelqu’un essaye d’enquêter concrètement sur les « circonstances » objectives dans lesquelles se situait la tentative de construction d’une société post-capitaliste, voilà que les « communistes » émules de la communauté chrétienne primitive crient au scandale contre l’ignoble tentative « de justification ». Pour comprendre l’attitude de ces « communistes » l’Evangile de Marc est plus utile que l’Idéologie allemande ou que Le Manifeste du Parti Communiste.

A leurs yeux l’encerclement impérialiste du « socialisme réel » et de la révolution socialiste est sans importance, de la même façon que le siège romain de Jérusalem et de la révolution nationale juive était insignifiant aux yeux de la communauté judéo-chrétienne primitive. Dans cette perspective s’acharner dans l’enquête historique concrète est fourvoyant et immoral : la seule chose qui compte vraiment est l’authenticité, la pureté immaculée du message du salut.

Loin de ressentir avec douleur la victoire de l’impérialisme romain, la communauté judéo-chrétienne semblait se réjouir de la chute et de la destruction de Jérusalem : celle-ci avait été prévue par Jésus et, en tout cas, à partir de ce moment il était possible de prêcher le message du salut sans les déformations et les trahisons propres à la politique. De façon analogue, de nos jours de nombreux communistes déclarent avoir éprouvé un sentiment de soulagement et de « libération » avec l’écroulement du «socialisme réel » : enfin il était possible de revenir au Marx « authentique » et de prêcher l’idée d’un communisme débarrassé des horribles incrustations qu’avaient déposé sur lui l’histoire et la politique."

Début du premier chapitre de "Fuir l'histoire" Domenico Losurdo, le temps des cerises