mercredi 27 juin 2007

Sinistra

Les 16 et 17 juin 2007 avaient lieu simultanément deux évènements intéressant l’ensemble de la gauche en Europe. Si le premier a donné lieu à une certaine médiatisation dans notre pays, je veux parler de la fondation de die Linke, l’autre est passé plus inaperçu : il s’agit de la création de la section italienne de la gauche européenne (ou Sinistra europea) à l’initiative de Rifondazione Comunista (PRC).

L’intérêt immédiat pour Die Linke est normal : l’Allemagne, première puissance européenne, la constitution d’un parti bien carré bien compréhensible pour nos esprits cartésiens, avec des conséquence prévisibles en termes électoraux… L’intérêt manifesté par l’ensemble des média est à la hauteur de l’événement. Pourtant il ne s’agit, comme dit Gregor Gisy, que de "l’achèvement de l’unification allemande" c’est beaucoup, mais ce n’est (presque) que ça…

Par contre ce qui se passe en Italie est peut être plus intéressant . L’Italie, mais ce n’est pas une nouveauté, joue le rôle de laboratoire de la recomposition politique en Europe. Et les italiens font preuves d’une créativité réelle en la matière au moins depuis les années 70. Il ne faut pas en attendre moins d’un pays qui a engendré deux des plus grands penseurs politiques de tous les temps (Machiavel et Gramsci) et développé une des pratiques diplomatiques des plus sophistiquée (avec les réseaux et l’appareil du Vatican…)

Ce mouvement va bien au-delà de la création de la Sinistra europea. Car la SE n’est qu’un élément d’un mouvement qui a été relancé en fait à gauche par la création du Parti démocrate.

Piero Fassino, secrétaire des démocrates de gauche (ex-communistes) dans un interview au monde du 23 mai 2007 a donné le sens de la fusion des deux principaux partis de centre gauche (la Démocratie libérale-Marguerite, ancienne démocratie chrétienne et la DS, (démocrates de gauche) qui aura lieu le 14 octobre pour donner naissance à un grand parti social- démocrate : «Avec la coalition de l’Olivier, nous avons mis en route depuis douze ans, et plus particulièrement ces cinq dernières années, un processus d’unification de notre électorat qui a besoin d’être complété ». Unir les forces réformistes a été la première étape, la seconde est la réorganisation des partis, puisque la réforme des institutions et celle de la loi électorale ne suffisent pas pour dépasser « la désespérante fragmentation politique ».

Face à la création de ce parti résolument centriste, le débat sur le rassemblement des forces de gauches qui refusent ce processus c’est accéléré. Le débat concerne en particulier ceux des DS, autour notamment de Fabio Mussi et Cesare Salvi, qui refusent d’entrer dans le nouveau parti démocrate, ainsi que les Verts, les communistes (PRC et Pdci), les petits groupes socialistes, et d’autres groupes politiques plus ou moins importants.

A l’intérieur de Rifondazione le débat fait rage sur cette question et est apparu en pleine lumière depuis le congrès de la Sinistra europea : Ainsi le discours qu’y a prononcé l’ancien secrétaire du parti Fausto Bertinotti(1) était très clair : il faut aller au-delà de Rifondazione Comunista, vers l’unité de la Gauche. Cette idée ne semble pas partagée par la majorité ( ?) des dirigeants comme le prouve la réaction de Francesco Ferrara, membres du secrétariat du PRC, qui proteste dans Liberazione(2) du 20 juin contre le titre du journal de la veille qui reprenait en fait la position bertinottienne.

Il Foglio journal de droite dirigé par Giuliano Ferrara(3) en général bien informé sur le PRC résume assez bien la situation (il rapporte l’anecdote savoureuse que je ne peux résister de citer de Franco Giordano(4) réagissant au titre contestée de Liberazione par un ironique « Mon parti se dissout et je n’était même pas au courant… »)

Voilà ce qu'écrit Il Foglio dans son édition du 21 juin p 3: " Mercredi est apparu au grand jour le débat resté caché à l‘intérieur de la majorité du parti. Parce que, s’il avait été noté que les deux (et demi) minorités du PRC, « Essere comunisti », « Sinistra Critica » et l’Ernesto sont, avec des expressions diverses, opposées à un parti unique avec les autres forces de la gauches, moins évidentes étaient les divergences à l'intérieur de la majorité. La tendance bertinottienne est divisée entre les ultras de l’union « tout de suite » (avec le soutient externe du Pdci de di Liberto(5) ) et les temporisateurs avec le soutient externe de la Sd de Fabio Mussi(6). La vraie dialectique – disent les mauvaises langues du parti - voit d’une part les Sansonetti (7), Rina Gagliardi(8), Alfonso Gianni(9) et toute la chaîne des « Bertinotti boys » et de l’autre les Paolo Ferrero(10), Giordano et Claudio Grassi(11) qui veulent une fédération qui conservent les singulières identités formelles »…

On le voit le débat ne fait que commencer et il va falloir sans doute être attentif à ce qui va se passer en Italie…

Caius Gracchus


(1) Secrétaire très médiatique du PRC jusqu’à l’an dernier date à laquelle il a été élu président de la chambre des député et où il laissa sa place à la tête du parti à Franco Giordano.

(2) Le quotidien du PRC

(3) Brillant journalist,e il fut dirigeant des jeunesse communistes avant de rejoindre les socialistes de Betino Craxi, puis Forza Italia et Silvio Berlusconi (après avoir été dans les années 70 un agent, « pas si bien payé que ça», de la CIA )….

(4) Actuel secrétaire général de Rifondazione comunista ou PRC

(5) Secrétaire général du Pdci (sission du PRC), successeur à ce poste du dirigeant communiste historique Armando Cossuta.

(6) Leader de l’aile gauche des DS qui refuse de rejoindre le nouveau parti démocrate.

(7) Directeur de Liberazione

(8) Rédactrice en chef de Liberazione,

(9) Sous secrétaire PRC au développement économique dans le gouvernement Prodi, co auteur de nombreux ouvrages avec Fausto Bertinotti

(10) Actuel ministre PRC du travail

(11) Sénateur, ancien trésorier du parti, leader de la tendance Essere comunisti (tendance « neo-togliatienne » du PRC)

dimanche 24 juin 2007

NON AU MINISTERE DE « L’IMMIGRATION ET DE L’IDENTITE NATIONALE »

Pétition

Comme l’ont souligné les historiens démissionnaires des instances officielles de la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration, associer « immigration » et « identité nationale » dans un ministère n’a jamais eu de précédent dans l’histoire de la République : c’est, par un acte fondateur de cette présidence, inscrire l’immigration comme « problème » pour la France et les Français dans leur « être » même. En tant que citoyens, ce rapprochement nous inquiète car il ne peut que renforcer les préjugés négatifs à l’égard des immigrés. De notre point de vue, l’identité nationale constitue, aujourd’hui, une synthèse du pluralisme et de la diversité des populations et ne saurait être fixée dans le périmètre d’un ministère. Le décret du 31 mai 2007 qui définit les compétences de ce nouveau ministère montre, de surcroît, que les effets institutionnels dépassent la seule question de sa dénomination. Ainsi, ce ministère, qui détient en priorité des pouvoirs de police et de contrôle est aussi chargé de « promouvoir l’identité nationale » et de définir « une politique de la mémoire » dans le domaine de l’immigration. Il dispose d’une autorité complète et nouvelle sur l’asile politique et d’une autorité partagée sur une multitude d’administrations, y compris sur la « direction de la mémoire, du patrimoine et des archives » du ministère de la Défense. Cette confusion des rôles et des fonctions est inadmissible et inquiétante. Nous protestons énergiquement contre la dénomination et les pouvoirs dévolus à ce ministère et demandons solennellement au Président de la République de revenir à des choix plus conformes aux traditions démocratiques de la République française.

Signez la pétition en ligne

jeudi 21 juin 2007

Un matin...


"Il fallait qu'on ait calomnié Joseph K. : un matin, sans avoir rien fait de mal, il fut arrêté. La cuisinière de Madame Grubach, sa logeuse, ne lui apporta pas son petit déjeuner, comme elle le faisait tous les jours vers huit heures. Jamais ce n'était arrivé. K. attendit encore un moment et vit, de son oreiller, la vieille dame d'en face qui l'observait avec une curiosité tout à fait insolite. Puis, intrigué en même temps qu'affamé, il sonna. Aussitôt on frappa à la porte et un homme entra, que jamais K. n'avait vu dans cette maison. Svelte et pourtant bien bâti en force, il était sanglé dans un vêtement noir muni, comme les costumes de voyage, de toutes sortes de rabats, de poches, de brides, de boutons et d'une ceinture : sans qu'on sût bien à quoi cela pouvait servir, cela avait l'air extrêmement pratique."

mercredi 20 juin 2007

TVA « sociale » et impostures fiscales... par José Caudron et Catherine Mills.

Un article intéressant paru sur le site "Le grand Soir" :

" N
icolas Sarkozy s’était déclaré lors de sa campagne "convaincu qu’il faut expérimenter le transfert d’une partie des cotisations sociales sur la TVA", ce qui était passé inaperçu pour une très large majorité de ses électeurs, convaincus de bénéficier de mesures fiscales avantageuses : défiscalisation des heures supplémentaires, poursuite de la baisse des droits de succession, exonération fiscale d’une partie des intérêts payés par les ménages sur les achats immobiliers, et pour les plus riches renforcement du « bouclier fiscal ». Mais bien des partisans du candidat de l’UMP devront déchanter cruellement en faisant leurs comptes, car il est maintenant plus que probable que la TVA « sociale » viendra rogner le pouvoir d’achat des ménages. Ainsi, Laurent Fabius a-t-il habilement ironisé en estimant que le projet de « TVA antisociale » visait à « financer les avantages fiscaux de quelques-uns par une ponction sur l’ensemble de la population ». Après que François Fillon ait bien confirmé une prochaine mise en place d’une « TVA sociale ». Ce sont Jean-Louis Borloo et Éric Besson, secrétaire d’État à la Prospective et de l’Évaluation des politiques publiques qui ont été chargés d’une mission d’étude sur ce sujet afin de rendre leurs conclusions avant l’automne. (...)"

Lira la suite sur le site du Grand Soir

lundi 18 juin 2007

Strange Fruit

Southern trees bear strange fruit,
Blood on the leaves and blood at the root,
Black bodies swinging in the southern breeze,
Strange fruit hanging from the poplar trees.

Pastoral scene of the gallant south,
The bulging eyes and the twisted mouth,
Scent of magnolias, sweet and fresh,
Then the sudden smell of burning flesh.

Here is fruit for the crows to pluck,
For the rain to gather, for the wind to suck,
For the sun to rot, for the trees to drop,
Here is a strange and bitter cry.

Video : strange fruit par Billy Holliday

En cette anniversaire de l'exécution des Rosenbergs le 19 juin 1953 évoquons la mémoire d'Abel Meeropol (1903 - 1986) qui adopta les enfants des époux Rosenberg, Ethel et Julius, après leur exécution.Plus connu sous le pseudonyme Lewis Allan, il est l'auteur de la chanson « Strange Fruit »popularisée par Billie Holiday.

Il était un enseignant juif d’origine russe et membre du Parti communiste des États-Unis d'Amérique. Après avoir vu des photos du lynchage de Thomas Shipp et d’Abram Smith, Il écrivit alors le poème « Bitter Fruit » qu’il publia sous le pseudonyme de Lewis Allan dans le magazine « New York Teacher » et le journal communiste « New Masses ». Un peu plus tard, il mit le poème en musique. Celle-ci fut interprétée pour la première fois par l’épouse d’Abel Meeropol lors d’une réunion organisée par le syndicat des enseignants de New York. « Strange Fruit » acquit une certaine popularité dans ce petit milieu de la gauche new-yorkaise. Abel Meeropol décida alors de proposer la chanson à Billie Holiday, et contacta pour cela Barney Josephson, propriétaire du Café Society ou elle se produisait alors.


without sanctuary photos de lynchages en Amérique

samedi 16 juin 2007







- Comment t’appelles-tu voyageur ?

- Je me nomme Oedipe

Et tu penses aller loin sur cette voie ?

Je pense aller jusqu’à l’endroit où elle se termine.


Robert Desnos

SARKO ET LES FANTOMES DE MAI 68 par Diana Johnstone

Dans le dernier grand discours de sa campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy lança une étrange attaque contre Mai 1968. “Mai 68 nous avait imposé le relativisme intellectuel et moral,” déclara-t-il. Les héritiers de Mai 1968 avaient imposé l’idée que tout se valait, qu’il n’y avait donc désormais aucune différence entre le bien et le mal, le vrai et le faux, le beau et le laid. “L’héritage de mai 1968 a introduit le cynisme dans la société et dans la politique.”

Sarkozy a même tenu l’héritage de Mai 68 responsable de l’affaiblissement de la morale du capitalisme, du « culte de l’argent roi, du profit à court terme, de la spéculation”, des “dérives du capitalisme financier” . et finalement du “capitalisme sans scrupule des parachutes en or, des retraites chapeaux, des patrons voyous”.

Cela signifie-t-il que le nouveau président se prépare à ramener la France à sa bonne vieille morale d’avant Mai 68 ? Certainement pas. Nicolas Sarkozy, qui en mai 68 était un adolescent apolitique accro à la télé dans un milieu bourgeois épouvanté par le désordre dans la rue, est lui-même un héritier exemplaire de ce Mai 68 ambigu qu’il fustigea dans sa diatribe électorale.

lire la suite sur changement de société

dimanche 10 juin 2007

A propos de gauche et d'avenir...

Un texte "l’appel de Gauche Avenir" a été publié il y a quelques jours avec les signatures de, quelques personnalité de la "gauche du PS" (PRS et fabiusien) et quelques communistes. Voilà ce que nous pouvons lire dans cet Appel : "nous voulons contribuer, en dehors des partis, de leurs enjeux de pouvoir et des rivalités de personnes, à cette redéfinition". Egalement : "Des débats « ont commencé à s’engager dans de multiples lieux : associations, clubs, partis, milieux universitaires.. ; Gauche Avenir se propose d’être un lieu d’engagement individuel mais aussi un carrefour de ces différentes initiatives ».

Fort bien, mais tout cela me donne un peu l'impression d'observer des fourmis qui courent affolées dans tous les sens après que leur fourmilière ait été bouleversée par un gamin irascible.

Encore une fois, on cherche fébrilement à ne pas rester seul, à s'agréger, à faire du mécano politique ... Et contrairement à ce qu'on veut faire croire cela n'a rien , mais vraiment rien, à voir avec la construction d'une issue, avec la reconstruction d'une perspective communiste. Car rien n'est plus vide de contenu que la notion de "Gauche". L'utilisation de cette notion néglige complètement que "la gauche" a rassemblé au cours de l'histoire des forces particulièrement disparates : quels points communs entre "la gauche parlementaire" sous louis Philippe, "la gauche" au début de la troisième république et "la gauche " d'aujourd'hui?
Et si il peut y avoir un intérêt à discuter avec des forces "à gauche" de "l'échiquier politique" pour des militants se revendiquant du communisme, le but ne peut être simplement celui de refonder une "gauche" plus ferme sur ses valeurs (ce qui peut être le but d'un Mélanchon je le comprend bien). Le but des communistes ne peut être pour moi que de reforger l'outil politique qui permettrait de construire un bloc social autour d'une perspective explicitement socialiste dans le sens ou il s'agit d'entamer un processus de dépassement/rupture du capitalisme(je viens de dire au moins deux ou trois gros mots là). Non pas dans une démarches volontaristes ou politicienne (et opportuniste)mais en partant d'où en est l'état de conscience du salariat et en contribuant aussi à ce que les classes subalternes puissent se penser comme acteurs du changement.

Bon tout ce que j'écris est un peu langue de bois mais je crois qu'il faut arrêter de rester strictement dans le champ politique (c'est l'impasse des club , des comité anti libéraux etc...)et poser la question de l'intervention dans l'ensemble des champs sociaux et penser aussi d'autre forme d'intervention au sein de l'appareil d'état.

En tout cas le principal obstacle ce n'est pas la dispersion des forces et organisations de gauches, mais leur coupure avec les classes populaires, conséquence aussi de la décomposition de l'identité des classes populaires (et de la conscience de leurs intérêts propres) et du délitement des solidarités au sein du salariat... (processus issu directement de la décision prise à partir de 1983 d'écraser durablement les salaires et donc nécessairement d'écraser les points de résistances (y compris intellectuels et théoriques )du salariat...

Sinon j'ai bien conscience que ce que j'écris est très mécaniste et trop simpliste...

Caius

samedi 9 juin 2007

C’EST DANS MA NATURE DIT LE SCORPION


Un article intéressant de Danielle Bleitrach :

Nous sommes à la veille du premier tour des législatives, honnêtement quelle que soit notre choix il ne changera pas grand chose, nous sommes pris dans un mécanisme institutionnel où chaque force politique va recevoir l’addition de plusieurs années d’action.

La droite du Président devrait largement l’emporter, non pas comme on veut nous le dire que la France lui soit acquise, mais parce que ce mode de scrutin parfaitement inique, cette Constitution faite pour abattre le PCF, le tout dans la contexte d’une Europe qui tend vers la bi-polarisation type les Etats-Unis, entraîne irresistiblement vers le parti majoritaire…

Alors faut-il se résigner ? Certainement pas… Tout en mesurant bien que nous sommes entrés dans une période certes difficile mais qu’il faut penser sur le long terme… C’est toute la gauche qui doit penser sa propre utilité et sa survie…

Le parti socialiste ne présente aucune alternative parce qu’il n’a eu de cesse, et il continue, de détruire ses alliés les plus crédibles qu’étaient les communistes. Avec le fait qu’il n’a jamais totalement récupéré son électorat prolétarien… Et on peut craindre que le Parti Socialiste tel qu’il est soit désormais comparable au Parti Démocrate avec ses leaders à la John Kerry, incapables de s’adresser aux couches populaires et les repoussant vers les Républicains.

la suite sur le blog "Changement de société"

jeudi 7 juin 2007

Travailler plus?

La France en déclin, des français qui ne travaillent pas assez, un chômage élevés alors que tous les autres pays européens ont réussis à le faire reculer fortement grace à une plus grande flexibilité...et à droite comme au PS de nous citer le Danemark et sa flexsécurité... Que de lieux communs et de contes pour enfants naïfs qu'il faut démasquer.

Concernant le chomage : en fait la part de la population en age de travailler et ayant un emploi est quasiment la même en France, au royaume uni (même plus basse en fait) ou au Danemark.

En 2004, le Danemark a plus de préretraités que la France pour une population active dix fois plus faible. Avec les autres mesures de marché du travail, le nombre réel de chômeurs est 2,52 fois le nombre officiel. Le taux de chômage réel devient 14,65 % au lieu d'un taux officiel de 6,38 %!
Avec une évolution de sa population active identique à celle du Danemark depuis quinze ans, non seulement la France n'aurait plus aucun chômeur officiel, mais le chômage réel serait résorbé pour l'essentiel. Et cela sans introduire une plus grande flexibilité des contrats de travail.
Si de plus la France avait eu recours à la même proportion de préretraites que le Danemark (6,78 % de sa population active), le chômage réel aurait entièrement disparu et beaucoup d'emplois à temps partiel seraient redevenus des emplois à temps plein.
Inversement, si la population active du Danemark avait augmenté dans la même proportion qu'en France (+12,1%), tout en créant aussi peu d'emplois , le taux de chômage réel serait devenu 24,0 % de la nouvelle population active (après son augmentation).
Le modèle français est le plus honnête en matière de chômage, comparé au modèle danois, anglais ou hollandais. Le recours aux préretraites massives est utilisé au Danemark, l'invalidité pour raisons sociales (sans réelle invalidité médicale) est la mesure principale en Angleterre (Royaume-Uni) et aux Pays Bas, ce qui n'empêche pas l'utilisation d'autres mesures pour cacher l'importance du chômage. Dans ces trois pays, le chômage réel est de deux à trois fois plus important que le chômage officiel et se trouve comparable au chômage réel en France.
Et rien ne permet de dire que le cout du travail est élévé en France :Selon l'Insee le coût horaire de la main d'œuvre en 2003 est de 27,7 euros en France, 30,3 euros au Danemark, 27,9 en Allemagne, 26,8 aux Pays Bas, 23,6 au Royaume Uni (Angleterre), 30,4 en Suède....

En ce qui concerne la durée du travail en 2004 au Danemark, le nombre d'heures travaillées est de 1 545 heures par an et 34,3 heures par semaine pour chaque personne ayant un emploi (1 376 heures/an et 30,6 heures / semaine par emploi).
En France, la durée effective du travail est de 36,3 heures par semaine pour l'ensemble des travailleurs : 39,0 heures pour le travail à temps complet et 23,2 heures pour le travail à temps partiel.
Enfin, le Danemark produit et exporte du pétrole et du gaz, ce qui arrange beaucoup les finances publiques et permet de payer un nombre considérable de préretraites pour faire baisser le chômage apparent en diminuant la population active.

vendredi 1 juin 2007

Gramsci, révision et dogmatisme

"Le critère méthodologique énoncé par Gramsci est très fécond et peut être appliqué non seulement à l'histoire des idées mais aussi à celle de la réalité politique et sociale. On ne peut chercher à connaître séparément les différents systèmes idéologiques et politico-sociaux opposés, en faisant abstraction de multiples rapports de défi, de conditionnement et d'influence réciproque qu'ils exercent l'un sur l'autre. De même qu'il est absurde de vouloir reconstruire une histoire du marxisme, en Italie et dans le monde, entièrement interne au mouvement ouvrier et socialiste, il est également absurde de vouloir reconstruire une histoire des régimes nés de la révolution d'Octobre en restant exclusivement à l'intérieur du mouvement communiste ou, pire, en la déduisant a priori des idées de Marx et de Lénine. Il s'agit au contraire de ne jamais perdre de vue le tableau historique d'ensemble et les conditions concrètes dans lesquelles celui-ci se développe. En ce sens, la dialectique complexe esquissée synthétiquement dans les Cahiers de prison, peut être d'une grande aide pour comprendre l'histoire de 1900 à nos jours. C'est un fait que la révolution d'Octobre a exercé une profonde influence au niveau mondial, non seulement en donnant à l'Orient et au Sud de la planète une impulsion décisive au processus de décolonisation, mais en stimulant également de profondes transformations en Occident. Un implacable mais lucide adversaire du communisme le reconnaît : c'est Hayek qui observe, en critiquant la "liberté du besoin" théorisée par Roosevelt et en l'insérant ensuite dans une ligne de continuité avec la théorisation des "droits sociaux et économiques" qui trouve son expression dans la Déclaration universelle des droits de l'homme adoptée par l'ONU en 1948 : "Ce document est ouvertement une tentative de fondre les droits issus de la tradition libérale occidentale avec la conception complètement différente de la révolution marxiste russe". Ainsi, comme le reconnaît explicitement le patriarche du néolibéralisme, l'Etat social qui s'est réalisé en Occident ne peut être pensé sans l'impulsion et le défi provenant de la révolution d'Octobre.

Mais qu'en est-il advenu depuis ? Le système capitaliste, renforcé par l'absorption d'éléments dérivés du bagage théorique et politique du mouvement ouvrier et communiste, et de la réalité même du système social qui s'est développé à partir d'Octobre, a su ensuite exercer à son tour une attraction irrésistible sur la population de pays caractérisés par un socialisme qui, depuis le début, porte imprimés sur le visage les signes de la guerre déchaînée et imposée par l'Occident. Et qui devient ensuite de plus en plus ossifié et sclérosé, jusqu'à devenir la caricature de lui-même. C'est-à-dire que les régimes nés sur la vague de la révolution bolchévique n'ont pas su se mesurer concrètement à cet Occident qu'ils avaient eux-mêmes contribué à modifier en profondeur ; en dernière analyse, a vaincu le système politique et social qui a su le mieux répondre au défi lancé ou objectivement constitué par le système opposé et concurrent. C'est ainsi que, dans ce cas également, la victoire partielle initiale remportée par le mouvement ouvrier et communiste, qui démontrait sa capacité de déployer son efficacité historique concrète dans le camp adverse même, s'est transformée en une défaite totale, avec le résultat qu'à l'écroulement qui a eu lieu à l'Est correspond le démantèlement des éléments d'Etat social, des droits économiques et sociaux qui s'étaient imposés à l'Ouest, ou s'étaient présentés comme une réponse au défi d'Octobre.

C'est à partir de ces considérations qu'apparaît l'originalité du concept gramscien de "révision" du marxisme. Le danger pour l'autonomie idéologique et politique du mouvement ouvrier n'est pas représenté seulement par l'incorporation du marxisme, dans une fonction subalterne, dans le cadre de la culture traditionnelle et de l'idéologie dominante. Au contraire, celui qui croit s'opposer à une telle "révision" en cherchant le salut dans la forteresse dogmatique de l'orthodoxie, encourt à son tour une autre "révision", peut-être encore plus dangereuse et dévastatrice. On arrive alors, ou on revient, au "matérialisme traditionnel", au "matérialisme le plus grossier et banal", engagé exclusivement dans la critique de la transcendance religieuse et qui, dans le meilleur des cas, fait fonction d'arme de lutte à l'égard de la culture "médiévale" des grandes masses (surtout des plus arriérées), mais qui empêche le prolétariat d'atteindre l'objectif plus important, qui est de construire son propre groupe "d'intellectuels indépendants". Le prolétariat n'est plus en état de développer une élaboration culturelle et politique autonome, lorsque la philosophie de la pratique, réduite au "matérialisme vulgaire" et à "une métaphysique de la matière", devient ou commence à "devenir une idéologie au sens négatif, c'est-à-dire un système dogmatique de vérités absolues et éternelles", incapable de lire de façon critique la réalité, et de répondre aux défis toujours nouveaux du temps.

Réduit à un dogmatisme, le marxisme ne peut plus affronter adéquatement le problème de l'héritage, un problème qui pour Gramsci doit être considéré comme permanent, et non résolu une fois pour toutes par les fondateurs de la philosophie de la praxis. Comme nous le savons, le mouvement ouvrier et marxiste ne peut battre l'adversaire sans en entendre et en quelque sorte assimiler les raisons."

Domenico Losurdo, Gramsci. Du libéralisme au" communisme critique", Syllepse,