samedi 26 janvier 2008

LE PARADOXE ERRANT par Eduardo galeano

Chaque jour, en lisant les journaux, je suis un cours d’Histoire.
Les journaux m’instruisent avec ce qu’ils rapportent et avec ce qu’ils taisent.
L’Histoire est un paradoxe errant. La contradiction met ses jambes en mouvement. C’est peut-être pour cela que ses silences en disent plus long que ses paroles et, souvent, ses paroles révèlent, en mentant, la vérité.
Dans quelque temps paraîtra un livre que je viens d’écrire et qui a pour titre « Miroirs ». C’est en quelque sorte une Histoire Universelle, pardonnez mon audace. « Je peux résister à tout sauf à la tentation » a dit Oscar Wilde et j’avoue avoir succombé à la tentation de raconter quelques épisodes de l’aventure humaine dans ce monde du point de vue de ceux qui ne sont pas sur la photo.
Pour ainsi dire il s’agit de faits fort peu connus.
Je vous en résume quelques uns, juste quelques uns.
(...)
La reine Victoria, cette reine narcotrafiquante, avait imposé l’opium à coups de canon. La Chine fut transformée en une nation de drogués au nom de la liberté, de la liberté du commerce.
(...)
El Aleijadinho, l’homme le plus laid du Brésil, créa les plus belles sculptures de l’ère coloniale américaine.
Le livre des voyages de Marc Polo, aventure de la liberté, fut écrit dans la prison de Gènes.
Don Quichotte de la Manche, cette autre aventure de la liberté, est né dans une prison de Séville.
Ils étaient petits-fils d’esclaves, ces noirs qui inventèrent le jazz, la plus libre des musiques.
Un des plus grands guitaristes de jazz, le gitan Django Reinhardt, n’avait que deux doigts à sa main gauche.
Le grand maître de la cuisine française, Grimod de la Reynière, n’avait pas de mains. C’est avec deux crochets qu’il écrivait, qu’il cuisinait et qu’il mangeait.

Pour lire ce texte en entier de ce grand poête qu'est Eduardo Galeano vous pouvez passer sur le blog de Michel Collon

illustration :
Antônio Francisco Lisboa dit Aleijadinho (1738-1814) Christ en croix bois peint

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