samedi 12 janvier 2008

Politiques, entreprises et Camorra à l'origine de la peste par Roberto Saviano

Voici un article accusateur de Roberto Saviano, l'auteur de Gomorra, sur la crise des déchets à Naples, sur l'empoisonnement et sur la montée des cancer en Campanie. Paru sur le site de l'Ernesto le 8 janvier.

C'est un territoire qui ne sort pas de la nuit. Et qui ne trouvera pas de solution. Ce qui est en train d'arriver est grave, parce les droits les plus simples deviennent extraordinaires: celui d’avoir une rue accessible, de respirer l’air en marchant, de vivre avec l’espoirs d’une vie dans la moyenne d'un pays européen. Vivre sans avoir l'obsession d'émigrer ou de s'enrôler.

C’est une nuit sombre celle qui tomba sur ces terres, parce que mourir rongé par le cancer devient quelque chose qui ressemble à une destinée partagée et inévitable, comme de naître et de mourir. Parce que celui qui l'administre continue à parler de culture et de démocratie électorale, comètes plus vaines que celles des discussions byzantines. Et celui qui est dans l'opposition semble dévoré par la terreur de ne pas participer aux affaires plutôt qu'être intéressé à en modifier les mécanismes.

On meurt d’une peste silencieuse qui prend naissance dans ton corps et qui te mène, pour finir, dans les départements d’oncologie de toute l’Italie. Les dernières données publiées par l’Organisation mondiale de la Santé montrent que la situation de la Campanie est incroyable, ils parlent d’une augmentation vertigineuse des pathologies cancéreuses. Pancréas, poumons, canaux biliaires, plus de 12% au-dessus de la moyenne nationale. La revue médicale The Lancet Oncology déjà en septembre 2004 parlait d’une augmentation de 24% des tumeurs au foie dans les territoires des décharges et les femmes sont les premières touchées. Il vaut la peine de rappeler que le chiffre dans les zones les plus à risques de l’Italie du Nord est en hausse de 14%.

Mais peut-être ces événements arrivent-ils dans un autre pays. Parce que celui qui gouverne et celui qui est dans l'opposition, ceux qui racontent et qui discutent, ceux-ci vivent dans un autre pays. Parce que s'ils vivaient dans ce pays, il serait impensable qu’ils s'aperçoivent de tout cela uniquement quand les rues sont pleines d'ordures.

C’est seulement dans un autre pays peut-être, qu’il aurait pu arriver que le président de la Commission des Affaires Générales de la Région la Campanie soit le propriétaire d'une entreprise - l'Ecocampania – qui recueillait des ordures dans tous les coins de la région et au-delà, et qui n'avait pas le certificat antimafia.

Pourtant ce n’est pas dans un autre pays que les ordures sont un business énorme. Elles rapportent à tous: c'est une ressource pour les entreprises, pour la politique, pour les clans, une ressource payée par les corps écrasés et les terres empoisonnées. Ils rapportent aux entreprises de collecte : aujourd'hui les entreprises campaniennes de ramassage d’ordures sont parmi les meilleurs en Italie et sont vraiment capables de se confronter avec les plus importants groupes de ramassage d’ordures dans le monde. (…)

Si on va en Ligurie ou au Piémont nombreuses de ces activités sont gérées par des sociétés campaniennes. Elles opèrent selon toutes les normes exigées et de la meilleure manière possible. Au Nord, elles nettoient, elles collectent, elles sont en équilibre avec le milieu. Au Sud on enterre, on pollue, on brûle. Cela rapporte à la politique parce que comme le montre l'enquête des juges et de la police de l'antimafia de Naples sur les frères Orsi, (entrepreneurs passés du centre droit au centre-gauche) : aujourd’hui le mécanisme criminogène à travers lequel se fondent les trois pouvoirs - politique entreprenorial et camorriste - c'est le système des consortiums.

Le Consortium privé-public représente le système idéal pour contourner tous les mécanismes de contrôle. Dans la pratique il a servi à créer souvent des situations de monopole dans le choix d'entrepreneurs proches de la Camorra. Cela a eu comme effet pratique d'avoir des situations de monopole et des gains énormes qui n'existaient pas dans le passé. (…) La politique a tiré du système des consortiums 13.000 votes et 9 millions d’euro par an, pendant que le chiffre d'affaires des clans a été de 6 milliards d’euro en deux ans.

Mais ils rapportent aussi des sommes immenses aux propriétaires des décharges comme le prouve le cas de Cipriano Chianese, un avocat entrepreneur du village de Parete, son fief. Il avait géré plusieurs années la Setri, société spécialisée dans le transport de déchets spéciaux de l'étranger : de toutes les parties de l'Europe il transférait des déchets au Giugliano-Villaricca. Transports irréguliers : jamais il n’avait eu l'autorisation de la Région. Il avait cependant la seule autorisation nécessaire : celle de la Camorra.

Accusé par les juges antimafia Raffaele Marino, Alessandro Milita et Giuseppe Narducci de concours extérieur en association camorriste et d’extorsion aggravée et continue, c'est le seul destinataire de la mesure conservatoire signé par le gip de Naples. Au centre de l'enquête la gestion des décharges enterré X et Z, des enfouissement illégaux dans la localité de Scafarea, à Giugliano, appartenant à la Resit et acquises par le Commissariat de gouvernement pendant l'urgence en matière de déchet de 2003. Chianese - selon les accusations - est un de ces entrepreneurs apte à exploiter l'urgence et qui réussit ensuite grâce à l'activité d'écoulement de son Resit à facturer au Commissariat extraordinaire un montant supérieur à 35 millions d’euro, pour la période seule comprise entre 2001 et 2003.

Les installations utilisées par Chianese auraient dû être fermé et remise en état. Elles sont au contraire devenues des décharges pour les situations d'urgence. Grâce à l'amitié avec quelques représentants du clan des Casalesi, comme les collaborateurs de justice l’ont raconté, Chianese avait acheté au prix de terrains en friche des bâtiments de valeur, il avait obtenu l'appui électoral dans les élections politique de 1994, il s’était porté candidat sur les listes de Forza Italia (il ne fut pas élu), et ainsi rien ne s'opposait plus à l'arrivée des ordures sur le territoire du clan. Le bureau du procureur a mis sous séquestre préventive les biens appartenant à l'avocat-entrepreneur de Parete: complexes touristiques et discothèques à Formia et Gaeta ainsi que de nombreux appartements entre Naples et Caserte. L'urgence de cette époque, la ville pleine d'ordures, les poubelles débordants, les protestations, les dessous politique électoraux avaient trouvé dans le Resit leur solution avec sa localisation dans la localité de Tre Ponti, à la frontière entre Parete et Giugliano.

Le déversement des ordures en Campanie rapporte aux entreprises du Nord-est. Comme l’a montré l'opération Houdini de 2004 : les prix du marché pour écouler correctement les ordures toxiques allaient de 21 centimes à 62 centimes le kilo. Les clans fournissaient le même service à 9 ou 10 centimes le kilo. Les clans de la Camorra ont réussi à garantir que 800 tonnes de terres contaminées par des hydrocarbures, propriété d'une usine chimique, soient traitées au prix de 25 centimes le kilo, transport compris. Une économie de 80% sur les prix ordinaires.

Si les déchets illégaux gérés par les clans étaient accumulés ils deviendraient une montagne de14.600 mètres avec une base de trois hectares, il serait la plus grande montagne existante sur terre. (…)

Dans ce pays il faudrait (…) voir le poison qui a été enfouie au Sud et qui a provoqué le massacre des moutons et des buffles dans toute l'Italie et en exhalant des odeur d'acide du cœur des pêches et des pommes.

Mais c’est sans doute dans un autre pays que les visages de ceux qui ont empoisonnés cette terre sont connus. C’est dans un autre pays que les noms des responsables sont connus et pourtant que cela ne suffit pas. C’est' dans un autre pays que la plus grande force économique est le crime organisé cependant que l'obsession des moyens d’information reste la politique qui remplie le débat quotidien d'intentions polémiques, pendant que les clans qui détruisent et qui construisent le pays le font sans qu'il y aie une opposition réel de la part du système d’information, trop épisodique, trop distrait sur les mécanismes réels.

Non ce n’est la Camorra qui a provoqué cette situation d’urgence. Le camorra ne se complait pas à créer l'urgences, la Camorra n'en a pas besoin, ses intérêts et ses gains sur les déchets comme sur tout le reste elle les réalises toujours, elle les fait de toute façon, avec le soleil et avec la pluie, avec l'urgence et avec l'apparente normalité. Quand elle poursuit ses propres intérêts mieux et personne qu’elle ne s'intéresse à son territoire, quand le reste du pays lui confie ses propres poisons pour un coût imbattable et qu’il croit pouvoir s’en laver les mains et dormir d’un sommeil léger.

Quand on jette quelque chose dans les immondices, là dans le seau sous l’évier de la cuisine, ou quand on ferme le sac noir, il faut penser qu’il ne se transformera pas en engrais, en compost, en matière fétide dont se gaveront les rats et les mouettes, mais se transformera directement en actions dans les sociétés, en capitaux, en équipes de football, en immeubles, en flux financiers, en entreprises, en votes. Et de l'urgence on ne veut et ne peut pas sortir parce qu'il est un des moments dans lequel elle gagne le plus

L'urgence n'est jamais créée directement par les clans, mais le problème est que la politique des dernières années n'a pas réussi à arrêter le cycle des ordures. Les décharges s'épuisent. On n’a fait mine de ne pas comprendre que quand tout finissait enfouie on ne pouvait pas ne pas arriver à une situation de saturation. Dans les décharges il ne devrait y aller qu'une petite partie, par contre quand tout est déversé là, alors la décharge s’engorge.

Ce que rend ceci tragique c’est que ce ne sont pas seulement ces jours-ci à être compromis, ce ne sont pas seulement les rue, où aujourd'hui vous frappez dans les sacs poubelles, qui subissent cela. Ce sont les nouvelles générations qui vont être atteintes. L'avenir même est compromis. Qui naît ne pourra non plus tenter de changer celui qui les a précédés et qui n'a pas réussi à arrêter et à changer. Les 80 pour cent des malformations foetales au dessus de à la moyenne nationale arrivent dans ces terres tourmentées.

Cela vaudrait le coup de rappeler la leçon de Beowulf le héros épique qui arrache les bras à l'ogre qui empestait le Danemark: «L'ennemi le plus rusé n'est pas celui qui t’enlève tout mais celui qui t'habitues lentement à ne plus rien avoir ". C’est ainsi vraiment : s'habituer à ne pas avoir le droit de vivre sur sa propre terre, de comprendre ce qui est en train d'arriver, de décider mêmes. S'habituer à n’avoir plus rien.

Article traduit de l'italien (et très légèrement raccourci) par Caius Gracchus

Illustration : Satan afflige Job d'ulcères malins par William Blake

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