Ces dernières semaines un débat s'est développé autour du dernier ouvrage de Domenico Losurdo publié en Italie (Stalin, Storia e critica di una leggenda nera, Carocci). Ce livre que je n'ai pas encore lu, mais qui semble revenir sur des thèmes chers au philosophe italien que l'on pourra retrouver sur des ouvrages traduit en français comme La fuite de l'histoire , ou Le révisionnisme en histoire, apporte quelques éléments de réflexion sur un des moments les plus importants du communisme au 20ème siècle, celui de la période stalinienne. Vu l'indigence de la production française en la matière (mais pas anglosaxonne), espérons que cet ouvrage trouve une traduction dans notre langue
On trouvera ci-dessous, traduit par Marie Ange Patrizio, une réponse de Domenico paru sur il manifesto, le quotidien Liberazione ayant refusé à l'auteur le droit de réponse après avoir publié 4 articles critiquant, ou attaquant violemment son dernier livre (on pourra lire une note de lecture de cet ouvrage sur Reveil communiste).
L’ « utopie abstraite » et mon Staline
Dans sa polémique avec mon dernier livre , sans même réussir, d’ailleurs, à écrire correctement mon nom, Rina Gagliardi [1] fait une affirmation péremptoire, selon laquelle je serais « revenu occuper le rôle d’intellectuel de référence du Prc ». En réalité, sur quatre numéros consécutifs, Liberazione a pris mon livre pour cible, parfois avec des critiques légitimes exprimées par deux intellectuels estimés (Liguori et Prestipino), dans d’autres cas avec des insultes énoncées par certains membres de la rédaction. Après quoi, on a refusé au soussigné le droit de réponse. L’affirmation de Gagliardi peut être retournée : ce n’est pas moi « l’intellectuel de référence du Prc », mais ce sont les deux intellectuels hôtes de « Liberazione » qui constituent le point de référence de Gagliardi qui, de fait, dans sa façon de démolir mon livre, reprend les arguments qu’ils ont utilisés.
De façon plus générale, après avoir souligné l’influence de l’état d’exception dans la tragédie de la Russie soviétique, mon livre fait observer qu’«est indubitable le rôle joué aussi par l’idéologie » et par « les couches intellectuelles et politiques » exprimés par le bolchevisme (p.104-105). Si ce n’est que l’idéologie que je prends pour cible est l’ « utopie abstraite », c’est-à-dire l’aspiration messianique à un monde caractérisé par la disparition de l’Etat, de la religion, de la nation, du marché et de la monnaie. Liguori (et Gagliardi aussi, je crois) défend au contraire l’idéologie que je critique en tant qu’« abstraite », et prend pour cible d’autres objectifs, mais n’explique pas pourquoi mon approche serait plus « justificatrice » que la sienne. Dans tous les cas, mon approche me semble plus correcte. Si nous réfléchissons à la tragédie (et l’horreur) dans l’histoire de la Russie soviétique, malgré les gigantesques processus d’émancipation qu’elle a engendrés au niveau mondial, nous sommes obligés de nous demander : l’attente de l’extinction de l’Etat a-t-elle rendu plus facile ou plus difficile la construction de l’Etat de droit ? Le poids funeste que la prétention d’effacer toute forme de marché et de circulation de la monnaie a eu dans le Cambodge de Pol Pot est incontestable.
Cet article est disponible dans l’édition de dimanche 19 avril de il manifesto Traduction M-A Patrizio
[1] Ancienne co-directrice de Liberazione, ex-député, ex-PRC, fait partie aujourd’hui de la tendance qui, autour de Nicky Vendola, a fondé un nouveau parti « de gauche » en préconisant d’enlever le mot « communiste ». (Les notes sont de la traductrice)
[2]« Au contraire de la collectivisation de l’agriculture et de l’industrialisation à étapes forcées, le massacre des officiers polonais, décidé par le groupe dirigeant soviétique et réalisé à Katyn en mars-avril 1940, est un crime en soi. (…). La situation était devenue assez difficile : le péril menaçait que l’URSS en tant que telle ne fut engloutie par la guerre, et les cercles occidentaux qui pensaient à un renversement du régime stalinien ne manquaient pas. C’est ce « grave problème de sécurité » qui fait précipiter l’ « horrible décision » (Roberts, 2006).(…) Mais même s’il est injustifiable, le crime dont nous nous occupons à présent ne renvoie pas à des caractéristiques particulières de la personnalité de Staline. Qu’on pense au crime dont s’entache le général étasunien Patton quand, débarquant en Sicile, il ordonne de tuer des soldats italiens qui, après une dure résistance, se rendent. S’il s’agit ici d’une infamie de dimensions plus réduites, il faut cependant garder à l’esprit que ce n’est pas une préoccupation pour la sécurité du pays qui l’a provoquée, mais bien l’esprit de vengeance ou peut-être même le mépris racial. C’est-à-dire qu’il s’agit dans ce cas d’un délit pour des motifs abjects ».Losurdo, p. 259. Stalin, storia e leggenda di una leggenda nera )
[3]« La guerre de Corée est en cours. Du Nord sauvagement bombardé, une masse de réfugiés arrive au sud. Comment sont-ils accueillis ? « L’armée étasunienne avait comme politique de tuer les civils qui s’approchaient de la Corée du sud » : les victimes étaient « pour la plupart des femmes et des enfants » mais on craignait que ne soient infiltrés parmi eux des nord coréens, même si dans les enquêtes sur l’un des cas les plus informés (les tueries qui ont eu lieu à No Gun Ri), « aucune preuve d’ennemis infiltrés n’a été recueillie ».
[4]L’expression latine indique une façon d’évoquer la période comme si le temps écoulé n’était qu’un petit intervalle sans aucune importance
Image : Sir Thomas LAWRENCE (1769-1830), Satan et Belzébuth debout, de face, dominant des nuées enflammées, Paris, musée du Louvre, Département des Arts Graphiques
2 commentaires:
Salut Caius, juste un mot pour dire à tes visiteurs que j'ai rendu compte du bouquin de Losurdo, et aussi commenté et publié sur Réveil Communiste tout ça sur Réveil communiste.
Amicalement GQ
merci mais je l'avais déjà indiqué dans la présentation du texte et mis un lien renvoyant à ton compte-rendu...;)
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