jeudi 23 juin 2011

« Indiens de Reggio Emilia». de Matteo Rinaldi



Il Manifesto édition du 17 juin 2011


A Reggio Emilia, les travailleurs indiens de la GFE sont en train de mener une lutte exceptionnelle par sa valeur symbolique. La simple reconstruction de cet événement permet d’en comprendre le caractère emblématique.


La GFE était une entreprise coopérative de portage crée ad hoc (externalisée) par la Snatt, entreprise logistique basée à Campegine (province de Reggio Emilia) comme seul donneur d’ordres. Les porteurs de la GFE, environ 400 travailleurs, presque tous d’origine indienne, étaient payés à peine plus de 5€ de l’heure et embauchés sous un contrat de travailleurs-associés. Après plusieurs années passées dans ces conditions, les travailleurs de la GFE ont commencé à lutter et faire grève avec le soutient de la CGIL et en exerçant en assemblée leur droit de vote en tant que travailleurs associés. Ils ont décidés de passer à l’adoption d’un contrat collectif national (signé par la CGIL, la CISL et l’IUIL et les principales associations catégorielles du secteur). Face à la décision prise par les travailleurs associés, la SNATT a décidé d’interrompre tout rapport commercial avec la GFE en la condamnant à la fermeture. Elle a crée deux nouvelles coopératives et leur a imposé l’application d’un contrat collectif national connu pour être une convention factice. Une fois les deux coopératives crées, ils ont commencé à embaucher des travailleurs en leur demandant de souscrire individuellement un contrat aux conditions de travail tout à fait semblables à celles que les travailleurs de la GFE avaient décidés de changer. Une cassure s’est créée: d’un côté une partie des travailleurs indiens, environ 200, ont décidés d’accepter les nouvelles conditions imposés; d’autres, également environ 200, ont décidé que la situation était inacceptable. Que s’il avait baissé la tête, ils n’auraient probablement pu été capables de la relever. Cela a donné lieu à une mobilisation qui dure depuis plusieurs mois.

En effet depuis l’automne dernier face à la SNATT, (qui est le même lieu où travaillait les travailleurs associés de la GFE) les grévistes indiens organisent des piquets. Pendant plusieurs jours des travailleurs exaspérés par une situation bloquée mais visiblement décidés à poursuivre leur lutte jusqu’au bout, ont commencé une grève de la faim et de la soif. L’attention des média locaux a connu des hauts et des bas et étrangement, en quelques occasions seulement, la lutte des travailleurs indiens de la GFE a gagné une notoriété nationale. Pourtant celle-ci nous dit beaucoup de choses.


En premier lieu, elle montre pleinement le caractère envahissant des processus de déflagration sociale qui se déroule actuellement et le niveau de violence atteint dans les relations industrielles dans ce pays. En effet dans l’un des articles parus ces derniers jours sur un quotidien local, le cas de la GFE a été rapproché de celui de Fiat à Pomigliano et à Mirafiori.[1] De manière analogue à d’autres cas et avec d’autres travailleurs, dans le cas de Reggio Emilia, les politiciens locaux (de toute appartenance) se sont dépensés pour l’acceptation des raisons de l’entreprise comme condition indispensable pour le maintient de la production. Encore une fois a été mis en scène le spectacle tragi-comique où des messieurs et des dames comme il faut, aux revenus actuels de plusieurs dizaines, (si ce n’est de centaines) de milliers d’euros, expliquent à d’autre messieurs et dames que, malgré tout il vaut mieux accepter de travailler pour 5 € de l’heure, même dans des conditions encore plus mauvaises, car autrement cela pourrait être pire. Nombreuses sont donc les similitudes entre le cas de la GFE et les cas de délocalisation dont on a beaucoup parlé. Avec un aspect particulier dans ce cas: pour délocaliser il n’est pas nécessaire d’aller en Serbie. Il suffit de changer quelques papiers et de faire naitre d’un coup “de nouvelles coopératives”.


En second lieu, cette histoire fait émerger toute la complexité des rapports qui existent entre formes de protections et de solidarité que quelqu’un définit comme “communautaires” (terme qu’il faudrait utiliser avec précaution), le conflit social et les formes de protection et de solidarité issues des contrats collectifs. Quiconque a connu de près cette lutte (en soutenant ses raisons ou en s’y opposant), s’est rendu compte du poids qu’on eu dans la construction de cette mobilisation les rapports de solidarités issus d’un réseau relationnel à la base géo-culturelle. De l’aveu même des syndicalistes de la CGIL (seule organisation syndicale qui a soutenu les travailleurs en lutte), le seul soutien fournis par le syndicat n’aurait pas suffi à faire résister ces travailleurs aussi longtemps.

En même temps il est évident que la réponse de l’entreprise, le refus d’appliquer le contrat collectif, a coupé en deux la “communauté des Indiens”. Tout cela met en évidence la puissante articulation des relations entre le conflit social, la “cohésion communautaire” et des formes de protections et de solidarités issues des contrats collectifs. Dans ce sens la lutte de la GFE serait l’occasion pour réfléchir précisément sur ces relations. Non pas pour opposer les pratiques du conflit social aux formes de cohésion sociales de matrice “communautaire” ou pour opposer ces dernières aux formes de protection et de solidarité issues de la contractualisation, et pour en comprendre la complexité et les interpénétrations (et non nécessairement et des oppositions) réciproques.


En troisième lieu, cette lutte possède toute les caractéristiques d’un point de non retour de cette idée dure à mourir qui voit les travailleurs immigrés, soit en compétition directe avec les travailleurs italiens ou du moins comme une cause de l’abaissement des conditions de travail en général. Les travailleurs de la GFE marquent en effet la fin définitive du mythe de l’immigré comme cause de la dégradation des conditions de travail en général. Dans ce cas ce sont précisément les immigrés qui n’acceptent pas la dégradation radicale des conditions de travail (à commencer par le salaire horaire) ce sont les immigrés qui n’acceptent pas qu’un travailleur, de n’importe quelle nationalité ne puisse pas avoir d’autre conditions de travail (et de vie) par rapport à leurs propres collègues, tandis que les Italiens ( pardonnez moi pour cette généralisation) semblent tout au plus rester regarder à la fenêtre et acceptant résignés le caractère inévitable du processus de « désassociation » de la Société. Ce sont les immigrés, avec leurs corps « la seule chose qui leur reste », (ce sont leurs propres mots) qui tentent de bloquer un processus qui, que personne ne se fasse d’illusion, est envahissant et ne concerne pas seulement une partie des travailleurs, mais plutôt les travailleurs de ce pays dans leur ensemble de Turin à Pomigliano. Comme si les immigrés que quelqu’un définit comme des « corps étrangers », avaient assumés la tache ingrate de jouer le rôle des « anticorps » face à un germe qui a attaqué tout l’organisme social.


Traduction L. A.

"SourceTERRA": http://www.ilmanifesto.it/area-abbonati/in-edicola/manip2n1/20110617/manip2pg/16/manip2pz/305118/

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