vendredi 28 octobre 2011

Via pensiero


Un atrticle pris sur le blog de Danielle Bleitrach

Nous parlons souvent, dans les cours ou dans les médias, de l’art en politique par le biais de la propagande ou du storytelling de nos hommes politiques.

Il est aussi des moments de grâce où l’on se souvient que l’art exprime ce qui nous dépasse.

Le 12 mars 2011, pour les 150 ans de la République italienne, l’Opéra de Rome joue Nabucco de Verdi sous la direction de Riccardo Muti.

Créée en 1842 à Milan par Verdi, Nabucco raconte la révolte et la souffrance des Hébreux exilés à Babylone par Nabuchodonosor. Lors de sa création, les patriotes de Jeune-Italie ont immédiatement considéré un de ses chants, « Va Pensiero », comme un hymne à la libération du territoire italien de ses oppresseurs autrichiens, et Verdi devient un acronyme: Viva Vittorio Emanuele Re d’Italia. Le « Va Pensiero » du Nabucco appartient depuis lors à l’imaginaire politique italien: c’est un chant de résistance autant qu’un chant national. Pour les Italiens, Va Pensiero c’est la Marseillaise + Le Chant des Partisans.

Dans La Croix,Riccardo Muti explique l’importance de Nabucco et du Va Pensiero pour les Italiens.

Le contexte des festivités des 150 ans de l’Italie est particulier. Accusé de détournements, de corruption, de liens avec la mafia, sans compter ses frasques avec de jeunes filles, le président du Conseil Silvio Berlusconi est dans la salle. Ses télévisions sont accusées d’avoir, depuis plus de deux décennies, appauvri considérablement le niveau culturel des Italiens. Son gouvernement comprend des membres de la Lega Nord, un parti qui prône la séparation du nord et du sud de l’Italie en deux Etats distincts. Des coupes majeures viennent d’avoir lieu dans le budget de la culture, acculant à la faillite un certain nombre d’institutions majeures de ce magnifique pays. Quelques minutes avant la représentation de Nabucco, le maire de Rome, qui appartient pourtant au parti de Berlusconi, a pris la parole pour dénoncer la diminution du budget de la culture. Pourtant la représentation se déroule sans incident jusqu’au Va Pensiero.

Dans le Times de Londres, Riccardo Muti raconte l’ambiance: « Au tout début, il y a eu une grande ovation dans le public. Puis nous avons commencé l’opéra. Il se déroula très bien, mais lorsque nous en sommes arrivés au fameux chant Va Pensiero, j’ai immédiatement senti que l’atmosphère devenait tendue dans le public. Il y a des choses que vous ne pouvez pas décrire, mais que vous sentez. Auparavant, c’est le silence du public qui régnait. Mais au moment où les gens ont réalisé que le Va Pensiero allait démarrer, le silence s’est rempli d’une véritable ferveur. On pouvait sentir la réaction viscérale du public à la lamentation des esclaves qui chantent : « Ohma patrie, si belle et perdue ! ».

Dans sa chronique matinale sur France Culture, Philippe Meyer raconte la suite avec une certaine émotion dans la voix.

La salle bisse le Va Pensiero. Un homme crie « Viva l’Italia ». Muti prend la parole et accepte de rejouer. La salle, debout, entonne en même temps que le choeur cet appel à la liberté. Comme en 1848 des papiers griffonnés tombent des balcons vers le parterre.

Le texte de l’intervention de Riccardo Muti est sous la vidéo (source: agoravox). Les images sont mauvaises, mais l’émotion…

http://mobile.agoravox.fr/actualites/europe/article/silvio-berlusconi-renverse-par-91522


Muti : Je n’ai plus 30 ans et j’ai vécu ma vie, mais en tant qu’Italien qui a beaucoup parcouru le monde, j’ai honte de ce qui se passe dans mon pays. Donc j’acquiesce à votre demande de bis pour le « Va Pensiero » à nouveau. Ce n’est pas seulement pour la joie patriotique que je ressens, mais parce que ce soir, alors que je dirigeais le Choeur qui chantait « O mon pays, beau et perdu », j’ai pensé que si nous continuons ainsi, nous allons tuer la culture sur laquelle l’histoire de l’Italie est bâtie. Auquel cas, nous, notre patrie, serait vraiment « belle et perdue ».

Applaudissements à tout rompre, y compris des artistes sur scène.

Muti : Depuis que règne par ici un « climat italien », moi, Muti, je me suis tu depuis de trop longues années. Je voudrais maintenant… nous devrions donner du sens à ce chant ; comme nous sommes dans notre Maison, le théâtre de la capitale, et avec un Choeur qui a chanté magnifiquement, et qui est accompagné magnifiquement, si vous le voulez bien, je vous propose de vous joindre à nous pour chanter tous ensemble. (source: agoravox)

Et si vous voulez le passage de la Grande Illusion de Jean Renoir auquel fait allusion Philippe Meyer à la fin de sa chronique, elle est ici.

Le texte du « Va Pensiero » et sa traduction sont là.

Merci
H. Billard

(image: Riccardo Muti photographié pour le journal italien L’Unità)

o.

> Le 12 mars dernier, Silvio Berlusconi a dû faire face à la réalité.
> > > L’Italie fêtait le 150ème anniversaire de sa création et à cette occasion fut donnée, à l’opéra de Rome, une représentation de l’opéra le plus symbolique de cette unification : Nabucco de Giuseppe Verdi, dirigé par Riccardo Muti.
Nabucco de Verdi est une œuvre autant musicale que politique : elle évoque l’épisode de l’esclavage des juifs à Babylone, et le fameux chant « Va pensiero » est celui du Chœur des esclaves opprimés. En Italie, ce chant est le symbole de la quête de liberté du peuple, qui dans les années 1840 -époque où l’opéra fut écrit – était opprimé par l’empire des Habsbourg, et qui se battit jusqu’à la création de l’Italie unifiée.
Avant la représentation, Gianni Alemanno, le maire de Rome, est monté sur scène pour prononcer un discours dénonçant les coupes dans lebudget de la culture du gouvernement. Et ce, alors qu’Alemanno est un membre du parti au pouvoir et un ancien ministre de Berlusconi.
Cette intervention politique, dans un moment culturel des plus symboliques pour l’Italie, allait produire un effet inattendu, d’autant plus que Sylvio Berlusconi en personne assistait à la représentation…
Repris par le Times, Riccardo Muti, le chef d’orchestre, raconte ce qui fut une véritablesoirée de révolution : «Au tout début, il y a eu une grande ovation dans le public. Puis nous avons commencé l’opéra. Il se déroula très bien, mais lorsque nous en sommes arrivés au fameux chant Va Pensiero, j’ai immédiatement senti que l’atmosphère devenait tendue dans le public. Il y a des choses que vous ne pouvez pas décrire, mais que vous sentez. Auparavant, c’est le silence du public qui régnait. Mais au moment où les gens ont réalisé que le Va Pensiero allait démarrer, le silence s’est rempli d’une véritable ferveur. On pouvait sentir la réaction viscérale du public à la lamentation des esclaves qui chantent : « Oh ma patrie, si belle et perdue ! ».
Alors que le Chœur arrivait à sa fin, dans le public certains s’écriaient déjà : « Bis ! » Le public commençait à crier « Vive l’Italie ! » et « Vive Verdi ! » Des gens du poulailler (places tout en haut de l’opéra) commencèrent à jeter des papiers remplis de messages patriotiques – certains demandant « Muti, sénateur à vie ».
Bien qu’il l’eut déjà fait une seule fois à La Scala de Milan en 1986, Muti hésita à accorder le « bis » pour le Va Pensiero. Pour lui, un opéra doit aller du début à la fin. « Je ne voulais pas faire simplement jouer un bis. Il fallait qu’il y ait une intention particulière. », raconte-t-il.
Mais le public avait déjà réveillé son sentiment patriotique. Dans un geste théâtral, le chef d’orchestre s’est alors retourné sur son podium,faisant face à la fois au public et à M. Berlusconi, et voilà ce qui s’est produit :
[Après que les appels pour un "bis" du "Va Pensiero" se soient tus, on entend dans le public : "Longue vie à l'Italie !"]
Le chef d’orchestre Riccardo Muti : Oui, je suis d’accord avec ça, « Longue vie à l’Italie » mais…
[applaudissements]

Muti : Je n’ai plus 30 ans et j’ai vécu ma vie, mais en tant qu’Italien qui a beaucoup parcouru le monde, j’ai honte de ce qui se passe dans mon pays. Donc j’acquiesce à votre demande de bis pour le « Va Pensiero » à nouveau. Ce n’est pas seulement pour la joie patriotique que je ressens, mais parce que ce soir, alors que je dirigeais le Chœur qui chantait « O mon pays, beau et perdu », j’ai pensé que si nous continuons ainsi, à tuer la culture sur laquelle l’histoire de l’Italie est bâtie, alors oui notre patrie, sera vraiment « belle et perdue ».
[Applaudissements à tout rompre, y compris des artistes sur scène]
Muti : Depuis que règne par ici un « climat italien », et comme moi, Muti, je me suis tu depuis de trop longues années. Je voudrais maintenant… nous devrions donner du sens à ce chant ;comme nous sommes dans notre Maison, le théâtre de la capitale, et avec un Chœur qui a chanté magnifiquement, et qui est accompagné magnifiquement, si vous le voulez bien, je vous propose de vous joindre à nous pour chanter tous ensemble.
C’est alors qu’il invita le public à chanter avec le Chœur des esclaves. « J’ai vu des groupes de gens se lever. Tout l’opéra de Rome s’est levé. Et le Chœur s’est lui aussi levé. Ce fut un moment magique dans l’opéra. »
« Ce soir-là fut non seulement une représentation du Nabucco, mais également une déclaration du théâtre de la capitale à l’attention des politiciens. »
Voici une vidéo de ce moment plein d’émotion

Va pensiero, sull’ali dorate Va, ti posa sui clivi, sui colli, Ove olezzano tepide e molli

L’aure dolci del suolo natal. Del Giordano le rive saluta Di sionne le torri atterrate.Oh, mia patria, si bella e perduta!Oh, membranza si cara e fatal!
Arpa d’or dei fatidici vati, Perché muta dal salice pendi?
Le memorie nel petto raccendi,Ci favella del tempo che fu!
O simile di Solima ai fati Traggi un suono di crudo lamento,
O t’ispiri il signore un concento
Che ne infonda al patire virtu’!
Va, pensée, sur tes ailes dorées,
Va, pose toi sur les pentes, sur les collines,
Là où embaument, tièdes et suaves
Les douces brises du sol natal!
Salue les rives du Jourdain,
Les tours abattues de Sion.
O, ma patrie, si belle et perdue!
O, souvenir si cher et fatal!
Harpe d’or des devins fatidiques,,
Pourquoi muette, du saule pleureur, pends-tu?
Rallume les souvenirs dans le cœur,
Parle-nous du temps qui fut!
O, semblable au destin de Solime
Joue le son d’une cruelle lamentation,
O, que le seigneur t’inspire une harmonie
Qui nous donne le courage de supporter toutes nos douleurs!

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